L’échec des compagnies aériennes hybrides
Le «grounding» de Germania, annoncé mardi, est la suite d’une longue série de disparitions. Pour les compagnies, il est difficile de tenir une position médiane entre low cost et modèle traditionnel
Il y a eu Hello en 2012, Darwin/Etihad Regional et Air Berlin en 2017, puis Belair et SkyWork en 2018. Et hier mardi, c’est Germania qui a annoncé son dépôt de bilan. Les faillites en chaîne des compagnies régionales reflètent un secteur de l’aviation en complète mutation, dans lequel les modèles d’affaires hybrides ne trouvent pas leur place. Low cost ou modèle traditionnel, il faut désormais choisir. Explications.
En marketing, on appelle cela l’enlisement dans la voie médiane: quand une entreprise se perd dans plusieurs stratégies, en cherchant à prendre l’avantage à la fois sur les prix et sur une offre différente de celle du concurrent. C’est ce phénomène – stuck in the middle, comme le décrit l’économiste d’entreprise Michael Porter – qui a conduit au crash commercial de la compagnie aérienne Germania, annoncé mardi.
Mais aussi de Hello (en 2012), de Darwin/Etihad Regional fin 2017, de Monarch Airlines (2017), d’Air Berlin (2017), puis de sa filiale helvétique Belair (2018), enfin de SkyWork l’été dernier. «Elles ont un peu tout essayé pour tenter de trouver un nouveau modèle d’affaires», observe Andreas Wittmer, directeur du Centre de compétences aéronautiques de l’Université de Saint-Gall. Mais aucune n’a présenté de stratégie claire. Dans le sillage des pionniers Ryanair et EasyJet
Toutes ces compagnies aujourd’hui disparues sont nées dans le sillage des pionniers des vols à bas coût, Ryanair et EasyJet, qui ont largement contribué à démocratiser les voyages en avion. Dans ce contexte de hausse globale du trafic aérien (+60% de passagers en Suisse depuis 2000, selon l’OFS), portée par la controversée non-taxation du kérosène, elles ont pratiqué des prix bas, pour être compétitives. «Elles ont cherché à se positionner sur ce marché, sans se revendiquer clairement low cost», observe Andreas Wittmer.
Or, l’une des difficultés de ce segment d’activité tient à la volatilité du modèle, favorisant les voyages réservés à court terme, sur une impulsion. «Ces voyages ne sont pas nécessaires, contrairement aux voyages d’affaires et aux vacances, donc pas planifiés. Par ailleurs, les passagers ont tendance à ne réserver que les sièges à prix avantageux», souligne Andreas Wittmer. Un comportement d’achat qui a conduit à des surcapacités, selon l’expert.
Le taux de remplissage moyen calculé par l’Office fédéral de la statistique (OFS) stagne autour de 80%, soit proche du seuil de rentabilité de 75% – les deux leaders du low cost affichent quant à eux des taux de remplissage de 92,6% pour EasyJet et 91% pour Ryanair (malgré la perte nette de 20 millions de livres, que la compagnie irlandaise attribue à la hausse du prix du pétrole).
De cette situation s’ensuit une tendance «naturelle à la consolidation», note Andrew Charlton, consultant spécialisé dans l’aviation. A titre de comparaison, en Europe, les six premières compagnies (Lufthansa, Ryanair, IAG, EasyJet, Air France KLM et Turkish) se partagent 54% des ventes totales, tandis qu’aux Etats-Unis le top six (American Airlines, Southwest, Delta, United, Alaska, JetBlue) génère 91% du chiffre d’affaires, ajoute-t-il.
Ces nouvelles compagnies ont en parallèle cherché à se différencier de la concurrence sur l’offre, comme le font habituellement les compagnies traditionnelles en étoffant et en optimisant leurs liaisons, poursuit Andreas Wittmer. «Sauf qu’elles n’en ont pas l’envergure, notamment quand il s’agit de faire des économies d’échelle.»
Une lutte désormais
«au coeur de l’offre»
Leur statut hybride est aujourd’hui d’autant plus problématique que les extrémités se rapprochent: «Les compagnies à bas coût visent la clientèle d’affaires et cherchent à améliorer leur réseau de liaisons par des interconnexions, observe Andrew Charlton. Tandis que les compagnies traditionnelles reprennent des codes du low cost pour réduire les prix des billets, avec des repas facturés en supplément.»
Les dépôts de bilan successifs des compagnies régionales reflètent une branche de l’aviation en complète mutation, dans laquelle «la lutte n’a plus lieu sur le front des prix, mais sur le réseau, au coeur de l’offre», conclut Andrew Charlton. Dans le même temps, alors que le nombre de passagers ne cesse d’augmenter chaque année, la pression s’accroît pour que ce secteur rende des comptes sur les effets de ses activités sur l’environnement.
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«Ces voyages ne sont pas nécessaires, contrairement aux voyages d’affaires et aux vacances» ANDREAS WITTMER, DIRECTEUR DU CENTRE
DE COMPÉTENCES AÉRONAUTIQUES DE L’UNIVERSITÉ DE SAINT-GALL