L’heure de vérité pour les syndicats français
Les manifestations organisées mardi dans toute la France par la CGT sont loin d’avoir paralysé le pays. Entre les «gilets jaunes» et le «grand débat» promis par Emmanuel Macron, les syndicats se retrouvent dépassés
Les chiffres sont révélateurs. Ils étaient environ 15000, mardi, dans les rues de Paris à l’appel de la Confédération générale du travail (CGT). Soit à peu près autant que les «gilets jaunes» le 2 février, pour leur… douzième samedi de mobilisation. Le rapport de force entre le syndicat le plus engagé dans la confrontation sociale et le mouvement de colère sorti de nulle part est donc assez clairement en défaveur du premier: «Nos adhérents traditionnels, les fonctionnaires et les employés du secteur public, sont partagés sur les «gilets», expliquait hier Paul, un cheminot cégétiste des ateliers de la gare de Paris-Bercy. On soutient leurs revendications. On se bat aussi contre la baisse du pouvoir d’achat. Mais l’on sait que beaucoup d’entre eux nous voient comme des perdants.»
«Les jeunes n’y croient plus»
Perdants: le mot est redouté par les dirigeants des trois principaux syndicats français: la CGT (longtemps inféodée au Parti communiste), la CFDT (sociale-démocrate et désormais n° 1 dans le secteur privé) et Force ouvrière (née de la scission de la CGT en 1947, très présente dans le secteur public). Pas facile, en effet, d’imaginer un avenir radieux alors que la contestation s’est organisée en France en dehors de ces «corps intermédiaires» et qu’Emmanuel Macron a refusé l’idée d’une grande conférence sociale et écologique proposée par le patron de la CFDT, Laurent Berger, le plus engagé dans le dialogue. Y compris sur le sujet explosif de la réforme des retraites toujours à l’agenda.
Le président français lui a préféré la formule floue du «grand débat national», en promettant d’inclure les partenaires sociaux dans sa phase ultime, entre le 1er et le 15 mars lors des conférences régionales. «Les syndicats français souffraient déjà du faible taux d’adhésion (moins de 5% des salariés dans le privé) et d’une relative impopularité. Ils sont maintenant perçus comme dépassés. Les jeunes n’y croient plus et leurs échecs se paient cash», jugeait récemment sur Europe 1 l’universitaire Stéphane Sirot, historien social. La CGT, qui a tenté d’enrayer la perte d’adhérents par une surenchère dans la confrontation, symbolise cette mutation. Elle perd en moyenne 10000 syndiqués par an depuis 2014, pour un nombre total d’environ 650000 membres encartés.
Outre la concurrence du mouvement social spontané des «gilets jaunes», né fin 2018 du rejet de la hausse programmée des prix des carburants, les syndicats se retrouvent mis en cause… pour leur incapacité à empêcher l’hémorragie d’emplois industriels en France. Une étude de France Industrie, organisme patronal, confirme que 224 sites industriels ont fermé dans le pays depuis l’éclatement de la crise financière en 2009. Un autre rapport du cabinet Trendeo pointe la fermeture de 13 usines depuis novembre. S’y ajoutent les menaces qui pèsent sur l’usine Ford de Blanquefort, près de Bordeaux (où travaille l’ex-candidat d’extrême gauche à la présidentielle Philippe Poutou), ou la suppression annoncée de 500 emplois dans l’usine de turbines reprise par l’américain General Electric en novembre 2015. Des sites où les syndicats se sont battus. En vain…
Le combat plutôt que le compromis à l’allemande
Politiquement, le bilan n’est pas meilleur. L’opposition farouche de la CGT à la réforme du droit du travail votée par ordonnances en septembre 2017 a fait long feu. Idem pour la réforme de la SNCF, que le syndicat n’a pas pu empêcher au début de 2018. Le secrétaire général de l’organisation, le moustachu Philippe Martinez (candidat à sa succession au prochain congrès de Dijon du 13 au 17 mai), apparaît aujourd’hui comme vaincu par Macron, alors que les «gilets jaunes» ont obtenu de ce dernier, en décembre, 10 milliards d’euros d’aides diverses et une hausse du salaire minimum. «Ce n’est pas les syndicats, mais les partenaires sociaux dans leur ensemble qui accusent le coup. Où sont les patrons? Cette séquence: ce sont les Français face à l’Etat. Point», nuançait, le 18 janvier, un préfet présent à la réunion du «grand débat» de Souillac (Lot-etGaronne), aux côtés d’Emmanuel Macron.
«Pourquoi les syndicats français sont-ils si ringards?» titrait en octobre 2017 le magazine Capital. «Là où nos voisins allemands ou d’Europe du Nord, familiers du dialogue social, savent dégager les compromis nécessaires, les Français sont habitués à un syndicalisme de combat», pouvait-on lire. Problème: dans un pays où les députés ont voté hier en première lecture la loi anti-casseurs très controversée, cette capacité à combattre apparaît aujourd’hui fort étiolée.
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«Les syndicats français souffraient déjà du faible taux d’adhésion et d’une relative impopularité. Ils sont maintenant perçus comme dépassés» STÉPHANE SIROT, HISTORIEN SOCIAL