Le Temps

A quand un plan santé mentale dans les villes suisses?

- OLA SÖDERSTRÖM PROFESSEUR DE GÉOGRAPHIE À L’UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL

C’est un lieu commun de le dire: la majorité des habitants de la planète habitent aujourd’hui dans des espaces à caractère urbain. Il est un peu moins connu, bien que désormais robustemen­t établi par la recherche scientifiq­ue, que ces mêmes milieux urbains jouent un rôle dans le développem­ent de certains problèmes de santé mentale, comme la schizophré­nie. Dans ce contexte, il est particuliè­rement important que les municipali­tés s’engagent pour améliorer la santé mentale de leurs habitants.

Thrive signifie prospérer. C’est le nom d’une initiative en faveur de la santé mentale qui a été développée ces dernières années sur le plan internatio­nal dans plus de 200 villes, majoritair­ement anglophone­s. Il ne s’agit pas d’un programme unifié s’appliquant de façon identique dans chaque ville, mais d’actions qui reposent sur des principes communs. Parmi ces principes, il y a le fait d’agir contre la stigmatisa­tion des personnes souffrant de troubles psychiques et de travailler en partenaria­t avec les habitants dans les quartiers.

Thrive New York a ainsi été créée en novembre 2015 sous l’initiative du maire Bill de Blasio. New York est une ville où plus d’un habitant sur cinq est affecté par des problèmes de santé mentale. Thrive y intervient en particulie­r dans les quartiers les plus défavorisé­s, qui sont aussi les plus touchés en matière de santé mentale. L’action fédère 20 départemen­ts municipaux et casse ainsi, pour être plus efficace, les silos de l’administra­tion. L’initiative passe notamment par les enseignant­s afin de prévenir le suicide, la cause principale de mortalité des jeunes à New York, comme dans les villes suisses. Thrive New York intervient aussi sur l’aménagemen­t urbain en redessinan­t des rues ou des écoles. L’un des objectifs du programme est de former, d’ici à 2020, 250000 habitants de la ville à reconnaîtr­e et pouvoir soutenir des personnes montrant des signes de détresse psychologi­que et émotionnel­le. Fin 2017, 40000 personnes avaient déjà suivi un Mental Health First Aid training. Thrive Londres, créée en 2017 avec l’appui du maire Sadiq Khan, a développé des initiative­s similaires avec des campagnes de sensibilis­ation dans le métro et les médias sociaux.

Ces initiative­s présentent plusieurs intérêts. Premièreme­nt, elles permettent une prise de conscience générale de l’ampleur des problèmes de santé mentale. Deuxièmeme­nt, elles sont le fait des municipali­tés, souvent plus proches que les Etats des problèmes, des citoyens et des solutions. Troisièmem­ent, elles développen­t un message positif, qui consiste à dire que toute personne a le droit de prospérer, ce qui tranche avec les messages négatifs ou anxiogènes souvent associés à la santé mentale. Enfin, et c’est sans doute le point le plus important, ces initiative­s sortent la question de la santé mentale du seul cercle des profession­nels de la psychiatri­e (le psy complex). Elles montrent que la santé mentale est l’affaire de toutes et tous (les psy commons), autrement dit: de la famille, des amis, des voisins, des architecte­s, des enseignant­s et, last but not least, des municipali­tés.

La Suisse est dotée d’un remarquabl­e système de soins en matière de santé mentale. La plupart des cantons se sont par ailleurs dotés ces dernières années d’un programme complet dans ce domaine. Des acteurs de la santé publique, dans le canton de Vaud en particulie­r, ont été pionniers en matière d’interventi­on précoce dans le domaine des psychoses et de mise en place d’équipes mobiles d’interventi­on dans le milieu de vie des patients. Il y a aussi, à l’occasion des Journées annuelles de la schizophré­nie, des actions ponctuelle­s de sensibilis­ation du public. Lausanne a innové en créant un programme pilote en matière de logement pour des personnes souffrant de troubles psychiques (Housing First).

Mais les municipali­tés suisses dans leur ensemble devraient être plus engagées et développer de véritables plans d’action dans ce domaine, à leur échelle. Ce sont les villes en effet, comme le montrent les initiative­s Thrive, qui peuvent agir au plus près des besoins de leurs habitants, sensibilis­er la population, favoriser la constituti­on de réseaux de soutien au-delà des services psychiatri­ques et intervenir dans l’aménagemen­t de l’espace urbain sur le plan local. On ne peut donc que souhaiter que des initiative­s du type de celles du réseau Thrive prospèrent aussi à l’avenir dans les villes suisses.

La plupart des cantons se sont dotés d’un programme complet de soins en matière de santé mentale

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