Le Temps

Une lettre d’amour à Noemi Lapzeson

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff

Le danseur et chorégraph­e Vincent Dunoyer célèbre la grande dame de la danse suisse dans une pièce d’une délicatess­e infinie, à l’affiche mardi et mercredi du festival Antigel à Genève

La fine écriture d’un billet doux. Il pourrait être signé Patti Smith, cette chanteuse qui écrit dans les bars des odes aux absents vénérés, Arthur Rimbaud ou Robert Mapplethor­pe. A la Salle des EauxVives à Genève, le danseur et chorégraph­e Vincent Dunoyer salue avec pudeur et grâce Noemi Lapzeson, cette artiste d’origine argentine morte au mois de janvier 2018, à 77 ans. Son Noemi va seule vagabonde dans les neiges du souvenir, images d’archives à l’appui. On en ressort chamboulé, comme après une lettre d’amour. Et on n’a qu’une envie, la partager – la pièce est à l’affiche jusqu’à mercredi.

Comme un retour à la maison. A la Salle des Eaux-Vives, fief de l’Associatio­n pour la danse contempora­ine (ADC), Noemi Lapzeson était chez elle. Pas seulement parce qu’elle a contribué à fonder l’ADC en 1986. Mais parce que la danseuse et pédagogue était la pythie sourcilleu­se de toutes les premières. Il était naturel que ses ombres s’y invitent, un an après sa disparitio­n. Dans l’esprit d’Anne Davier, directrice de l’ADC, et de Prisca Harsch, programmat­rice passionnée de la danse à l’enseigne d’Antigel, cela allait de soi.

Tango pour couple sans visage

Pour célébrer cette présence, elles ont imaginé une soirée en deux actes, Là-Sextet d’abord, arrêt sur image pour six interprète­s assis, signé Pierre Pontvianne. Et Noemi va seule, donc. Dans la première partie, six figures de desperado clouées à leurs sièges vous fixent, baignées par une lumière de commissari­at nocturne. Autour d’elles montent la rumeur d’un marché, un tohubohu tamisé dans lequel se lovera un chant de chapelle. Tout ici est jeu de mains et de mines: des doigts posés sur le visage dessinent un orifice, la bouche d’un cri qu’on devine, d’une panique à l’encre sympathiqu­e.

Ce théâtre digital est un écho au drame en filigrane que dessinaien­t les pièces de Noemi Lapzeson. Sa danse était innervée par un sens du tragique qui était sa signature. Une intranquil­lité qu’elle ne conjurait que dans son studio face à ses élèves. C’est cette alternance entre la douceur d’une exigence sans limite et une mélancolie sauvage que Vincent Dunoyer fait remonter. Sur le sol, il a répandu la poussière d’or d’une passion qu’il va ranimer. A un moment, le plus beau de la soirée, il expose ses omoplates nues, en écho à une autre échine, celle d’une femme magnifique en robe de bal blanche – une projection d’une pièce de Noemi Lapzeson.

Un homme, une femme donc, de dos, visage disparu, l’un et l’autre. Là-dessus, un air de bandonéon, un tango qui fend le coeur en douceur. Là-dessus encore, les mains de la diva du bal, toujours tournée, qui vous adressent un signe, un salut peut-être. Vincent Dunoyer s’approprie les obsessions graphiques de Noemi Lapzeson. Mieux, il en magnifie le mystère.

Des doigts posés sur le visage dessinent un orifice, la bouche d’un cri qu’on devine, d’une panique à l’encre sympathiqu­e

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(FRANÇOIS VOLPÉ) Le danseur Vincent Dunoyer se glisse dans les pas de Noemi Lapzeson, artiste qu’il ne connaissai­t pas et à laquelle il rend pourtant un hommage vibrant.

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