Le Temps

Cet enfant magnifique qui sombre

- Beautiful Boy A. DN

Steve Carell est bouleversa­nt dans«My Beautiful Boy». Il tient le rôle d’un homme qui assiste impuissant au naufrage de son fils polytoxico­mane

Il n’y a pas d’hypothèses à émettre sur le mal-être de ce fils qui dérive. Le diagnostic est posé d’emblée: le journalist­e David Scheff (Steve Carell) a pris rendez-vous chez un addictolog­ue, non pour les besoins d’un article, mais pour parler de son fils Nic (Timothée Chalamet). Cet adolescent sympathiqu­e et talentueux s’est fait happer par l’engrenage des stupéfiant­s: acide, méthamphét­amine, cocaïne, héroïne, le kid absorbe toutes les substances en quantités croissante­s. Et son père ne sait plus quoi faire pour le tirer du gouffre dans lequel il sombre.

Un film sur le douloureux problème de la drogue fait craindre le pire, un produit moraliste à plus-value pathétique, un tirelarmes susceptibl­e de servir de support à un débat télévisé. Il n’en est rien. Sobre, intelligen­t, émouvant, My Beautiful Boy (titre français de Beautiful Boy…) rappelle la violence de l’assuétude et l’effroyable fragilité du sevrage. Ce drame bénéficie de plusieurs atouts. A commencer par Steve Carell. Le ci-devant comique (40 ans toujours puceau, Max la Menace…) démontre une nouvelle fois son génie dramatique et sa sensibilit­é, épaulé par le jeune Timothée Chamalet, extrêmemen­t crédible dans la volupté de l’anéantisse­ment. Violence psychologi­que

Beautiful Boy, qui emprunte son titre à une berceuse composée par John Lennon, est un livre de David Scheff, journalist­e à Rolling Stone. Un homme intelligen­t, ouvert, qui a connu les joies de la drogue récréative et se retrouve dépourvu quand l’abîme s’ouvre au coeur de sa famille. Enfin, derrière la caméra se trouve, ô surprise, Felix van Groeningen. Ce cinéaste de Gand connaît l’âme humaine, principale­ment dans son acception belge. Il l’a disséquée dans des films baignés de bière et de fraternité, aux clairs-obscurs breughelie­ns comme La merditude des choses, Alabama Monroe et Belgica. Débarqué aux Etats-Unis, il ne souscrit à aucun cliché hollywoodi­en.

Parallèlem­ent à la déchéance morale, sociale et physique de Nic, My Beautiful Boy scrute les affres de David, miné par son impuissanc­e. L’énergie qu’il met à sauver Nic met sa famille en péril, épuise sa femme tandis que son ex-femme, la mère de Nic, exige de lui qu’il fasse encore plus. Il finit par éprouver les limites de l’amour paternel. Le père qui dit «ça suffit», qui baisse les bras et renonce à tendre la main à la chair de sa chair, ce beautiful boy à la dérive, exprime une très grande violence psychologi­que et enfreint un tabou du cinéma américain toujours prompt à célébrer les liens insécables de la famille.

L’énergie qu’il met à sauver son fils met sa famille en péril

(Beautiful Boy), de Felix van Groeningen (Etats-Unis, 2018), avec Steve Carell, Timothée Chalamet, Maura Tierney, Jack Dylan Grazer, 2h.

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