La difficile réconciliation des jeunes et de la politique
L’Association des communes suisses et la Haute Ecole spécialisée de Coire publient une étude et des propositions destinées à convaincre les jeunes de se lancer dans une carrière politique communale
«Je n’ai pas prévu de m’engager en politique. Il y a plus de paroles que d’actes»
ENORA STEIN, 18 ANS, GENÈVE
ENGAGEMENT Une étude commandée par l’Association des communes suisses propose des pistes pour convaincre la jeune génération de s’engager et d’assumer des fonctions politiques
Les mouvements de désobéissance citoyenne, qui, ces temps, poussent des milliers de jeunes dans la rue pour manifester en faveur du climat, ont rappelé qu’un mandat électif n’est pas le levier de pouvoir favori de cette génération. Alors que les taux de participation aux élections fédérales dans la tranche des 18-24 ans sont toujours largement inférieurs à la moyenne et que dans les communes, surtout les plus petites, l’engagement des jeunes fait cruellement défaut, c’est le système de milice qui est pointé du doigt. Dix-neuf propositions ont été récoltées dans le cadre d’un concours d’idées, complété par une étude de la Haute Ecole en économie et technologie de Coire (HTW), qui propose 84 mesures pour convaincre les jeunes de se lancer dans une carrière politique à l’échelon communal notamment.
Le Temps dévoile ces résultats en primeur. Parmi elles: la suppression de l’obligation de domicile dans la localité où l’on veut se montrer actif. Plusieurs propositions portent également sur l’aménagement du temps de travail des conseillers municipaux, la rémunération et la généralisation de la signature électronique. Or, l’engagement politique n’est pas réduit au circuit traditionnel, réagissent certains jeunes que nous avons interrogés: «Chacun peut donner de son temps là où il se sent le plus à l’aise, que ce soit une ONG ou une association, à petites doses.» Un schéma qui séduit Enora Stein, 18 ans, de Genève.
Comment intéresser les jeunes à la politique? Les manifestations pour la protection du climat sont clairement un vecteur de politisation, mais cela suffira-t-il à les convaincre de s'engager et d'assumer des fonctions politiques, à commencer par l'échelon communal? L'Association des communes suisses (ACS), qui a fait du millésime électoral 2019 l'«année du travail de milice», se penche sur la question. Elle publie ce jeudi une série de 19 propositions visant à accroître l'attractivité du système de milice. Celles-ci ont été récoltées dans le cadre d'un concours d'idées. Ce catalogue est complété par une étude commandée à la Haute Ecole spécialisée technique et économique (HTW) de Coire. Intitulée «Promo 35», elle porte sur l'engagement politique des jeunes âgés de 25 à 35 ans dans les exécutifs communaux. Ce document liste 84 mesures recouvrant 19 domaines d'intervention possibles. Certaines idées se recoupent, d'autres se complètent. Former des influenceurs
Les deux démarches parviennent à la conclusion que l'intérêt des jeunes pour un engagement en politique est bien réel, mais qu'il est freiné par le temps important qu'il faut consacrer à cette tâche et par la durée des mandats. Estimé à 20%, le potentiel de recrutement est jugé «plus élevé que prévu» par l'ACS. Conduite auprès de 602 communes alémaniques (40% de toutes les entités germanophones du pays), de 1000 jeunes de 25 à 35 ans représentant toutes les régions linguistiques et d'interviews menées auprès de jeunes actifs dans des exécutifs de six cantons alémaniques jugés représentatifs, l'enquête de la HES de Coire révèle que 90% des jeunes adultes n'ont encore jamais été sollicités pour exercer une activité politique dans leur commune. «Nous avons ciblé deux catégories de jeunes: ceux qui sont déjà des «bêtes» politiques engagées et ceux pour qui l'appartenance politique est secondaire», précise Curdin Derungs, responsable de l'enquête.
La suppression de l'obligation de domicile dans la localité où l'on veut se montrer actif est l'une des idées phares du concours lancé par l'ACS. Les membres de l'exécutif d'une petite ou moyenne commune sont en règle générale des miliciens, à l'exception parfois du président ou de la présidente. Ils exercent une activité professionnelle en parallèle. Or, il arrive qu'ils doivent quitter leur lieu de domicile pour des raisons professionnelles «alors même qu'ils sont profondément attachés à leur commune», constate le rapport de l'ACS. Ces personnes devraient pouvoir conserver leur mandat de membre de l'exécutif, à condition bien sûr qu'elles n'en acceptent pas un second dans une autre commune. «Le but est que ces candidats capables, spécialisés et motivés puissent être trouvés», note le rapport.
Afin de sensibiliser les jeunes générations, certains suggèrent de rapprocher les conseillers communaux des écoles afin qu'ils expliquent directement aux élèves en quoi consiste leur travail et dans le but d'enregistrer leurs desiderata. D'autres mesures portent sur le parrainage des jeunes candidats et candidates et la formation d'influenceurs qui motiveraient leur entourage à se lancer dans une carrière politique. Intérêt de l’économie
La panoplie est large. L'étude de la HES de Coire ne porte aucun jugement de valeur sur les propositions recensées. Mais il s'agira maintenant, dans une deuxième étape, de se concentrer sur les dix meilleures. Celles-ci seront sélectionnées par un jury et le public sera invité à récompenser les trois qu'il estimera les plus pertinentes lors d'une manifestation qui aura lieu le 26 février à Zurich. Le maintien
La mobilisation des jeunes pour le climat a-t-elle des chances d’en convaincre certains de s’engager activement?
et la redynamisation du système de milice intéressent également l'économie, puisque le concours d'idées de l'ACS est soutenu par six compagnies d'assurances et plusieurs associations faîtières, en particulier Economiesuisse, Swissmem, Interpharma et Scienceindustries. En parallèle, les communes qui n'ont pas répondu au questionnaire de la HES ou n'ont pas été sollicitées par elle pourront accéder à la version numérique de l'enquête et faire part de leurs expériences. L'étude n'existe pour l'heure qu'en allemand, mais Curdin Derungs espère trouver le financement nécessaire pour la faire traduire en français et en italien afin que les collectivités locales latines puissent elles aussi partager leurs expériences et tirer profit de celles des autres.
Quels résultats peut-on attendre de ce travail de sensibilisation? La mobilisation des jeunes pour le climat a-t-elle des chances d'en convaincre certains de s'engager activement? «C'est au niveau communal que l'on peut faire bouger le plus de choses. Notre enquête confirme l'intérêt des jeunes pour se mobiliser concrètement dans le domaine de l'environnement et du climat. Il est l'un des premiers sujets d'intérêt pour eux, juste derrière la formation, le social, le sport et les loisirs. Cette enquête tombe donc au bon moment. En s'engageant dans une commune, on peut par exemple influencer des mesures telles que la renaturation d'un ruisseau», commente Curdin Derungs.
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