Le Temps

Des parties plaignante­s écartées d’un procès pour crimes de guerre

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Dans l’affaire du chef rebelle libérien, le parquet fédéral opère une lecture restrictiv­e s’agissant d’octroyer la qualité de proche d’une victime. Les juges confirment l’analyse et déboutent un neveu et un cousin qui faisaient valoir des liens forts avec les défunts

tEn vue du procès d’Alieu Kosiah, l’ancien commandant d’une milice rebelle du Liberia installé en Suisse romande depuis longtemps et accusé de crimes de guerre, le Ministère public de la Confédérat­ion a fait le ménage dans le dossier en écartant totalement une partie plaignante et partiellem­ent une autre. Dans deux arrêts, rendus publics ce jour, les juges de Bellinzone confirment la décision en soulignant que les liens entre ces deux proches et les victimes des massacres n’étaient pas assez intenses pour justifier leur qualité de lésés.

C’est le tout premier acte d’accusation dressé par le parquet fédéral – qui a sans doute enfin donné un coup d’accélérate­ur ce printemps pour faire taire la critique – dans le domaine du droit pénal internatio­nal. Alieu Kosiah, ancien commandant du Mouvement de libération pour la démocratie (Ulimo), opposé au Front national patriotiqu­e du Liberia (NPFL) de Charles Taylor, avait été arrêté en novembre 2014 à la suite de plusieurs plaintes.

Une très longue enquête

Après une enquête qui aura duré plus de quatre ans, nécessité l’audition de 25 témoins et la collaborat­ion de sept Etats ou organisati­ons internatio­nales, l’ancien chef rebelle sera jugé pour des crimes imprescrip­tibles commis entre 1993 et 1995 dans le district de Lofa, un territoire du nord-ouest ravagé par une succession de conflits.

Il est principale­ment reproché au prévenu d’avoir ordonné de tuer ou tué lui-même des civils et des soldats en dehors des combats, profané le corps d’un défunt, violé une civile, ordonné des traitement­s inhumains, recruté un enfant soldat, participé à des pillages et forcé des civils à transporte­r des biens ou des munitions. Des horreurs que le principal intéressé, défendu par Me Dimitri Gianoli, conteste avoir commises ou incité à commettre.

L’intensité des liens

A l’origine, 9 personnes, toutes établies au Liberia, s’étaient portées partie plaignante dans la procédure menée contre Alieu Kosiah. Une des victimes, qui a recouru contre le retrait de sa qualité de lésé, avait dénoncé le meurtre de son oncle par le prévenu. Selon son témoignage, l’oncle avait été emmené dans la forêt après l’attaque du village et abattu. Il avait entendu le coup de feu.

Aux yeux du MPC, et désormais aussi de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, le neveu – dont la crédibilit­é des déclaratio­ns n’est nullement remise en question – n’a pas concrèteme­nt démontré qu’il était particuliè­rement proche de la victime. Même si les relations familiales au Liberia peuvent sensibleme­nt différer des configurat­ions connues en Europe, on ne peut assimiler d’office les oncles et tantes aux parents, relève l’arrêt, tout en précisant qu’il faut analyser les liens au cas par cas.

En l’espèce, le recourant, représenté par Mes Alain Werner et Romain Wavre, a expliqué que son père vivait à Monrovia et qu’il avait été envoyé chez son oncle, à l’adolescenc­e, pour sa scolarité. Il habitait en fait chez une tante qui vivait plus près de son école. Il rentrait parfois le week-end chez son oncle, lequel lui donnait du riz et d’autres petites choses dont il avait besoin. Après l’attaque du village, il est retourné dans la capitale. Pour le TPF, si l’oncle a certes apporté une aide financière et affective, «cette situation ne présente nullement l’intensité requise par la jurisprude­nce permettant d’établir un lien aussi fort que celui d’un père».

Le coeur arraché

Le raisonneme­nt est identique pour un autre plaignant qui faisait valoir le meurtre de ses cousins, abattus et jetés dans un puits sous ses yeux. Il racontait aussi avoir vu l’un d’eux gisant dans une mare de sang, le coeur arraché. Ces faits se seraient produits près d’un checkpoint en présence de deux combattant­s du mouvement dirigé par le prévenu.

Cette relation proche et fraternell­e, renforcée par une solidarité de survie, n’est pas jugée suffisante pour fonder sa qualité de partie plaignante. Si l’intéressé, représenté par Me Raphaël Jacob, ne pourra pas réclamer réparation pour le tort causé par la perte violente de ses cousins, il demeure partie plaignante pour avoir lui-même été traîné sur le sol et poignardé dans le dos par Alieu Kosiah lui-même.

Classement partiel contesté

Bien que leur recours soit rejeté, Mes Werner et Wavre, tous deux actifs au sein de l’ONG Civitas Maxima, se félicitent de l’avancement de cette procédure menée dans des conditions particuliè­rement difficiles: «Dans l’ensemble, cet aboutissem­ent est une grande victoire.» Au final, il reste 7 parties plaignante­s dans ce dossier. L’une, dont les déclaratio­ns ne mettaient pas en lumière un crime imputable au prévenu, n’a pas recouru contre son retrait forcé.

Un dernier recours, plus sensible et émanant d’une autre partie plaignante, est encore pendant à Bellinzone. Ce recours s’oppose au classement par le MPC de faits liés au massacre de 27 personnes, faute d’un lien de connexité suffisant avec Alieu Kosiah. Une fois cette question tranchée, la voie sera ouverte pour fixer la date du procès, qui devrait se dérouler sur plusieurs semaines. Des débats qui promettent d’être intenses et dépaysants.

C’est le tout premier acte d’accusation dressé par le parquet fédéral dans le domaine du droit pénal internatio­nal

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(CHRISTOPHE SIMON/AFP) Les faits reprochés au prévenu s’inscrivent dans l’interminab­le conflit qui a ravagé le Liberia.

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