Le Temps

Les principes de l’égalité n’empêchent pas d’aimer le tennis masculin

- t LAURENT FAVRE, PARIS @LaurentFav­re

La mixité, l’égalité des salaires et la parité dans la programmat­ion sont des règles de base dans les tournois du Grand Chelem. Elles n’empêchent pas le public parisien de montrer clairement ses préférence­s pour le tennis masculin

«Et les femmes?» Cette question, écrite au feutre sur un t-shirt par une coureuse à pied qui voulait participer à Morat-Fribourg dans les années 1970, était apparue dans le film de Pierre Morath Free to Run. Elle est réapparue dimanche matin, sur un quai de Seine, reproduite à l’échelon industriel (avec le même design) et vendue par Nike. Dans Paris, les boutiques de sport se sont mises opportuném­ent à l’heure de la Coupe du monde féminine de football, qui débute le 7 juin au Parc des Princes. Le sport féminin est un business comme un autre.

A Roland-Garros, l’égalité hommesfemm­es est une pratique adoptée depuis quelques années déjà. Les primes de victoire sont les mêmes. Sur les grands courts, on respecte une stricte alternance: un match féminin, un match masculin, et l’on inverse l’ordre d’un terrain à l’autre. L’autre jour, l’Autrichien Dominic Thiem s’est même fait déloger de la salle de presse où il venait de commencer sa conférence d’après-match pour laisser la place à la reine Serena Williams.

Mais cette égalité de principe se heurte à une inégalité de fait. Le simple dames intéresse peu, et pas du tout s’il est en concurrenc­e avec une grosse affiche chez les messieurs, s’il est en ouverture de programme à l’heure du déjeuner ou bêtement s’il succède à un long match. Il n’est pas rare que le public déserte les courts sitôt les matchs masculins terminés. Lundi, Simona Halep et Iga Swiatek sont entrées dans un Central aux deux tiers vide (et déserté à 90% dans les loges), dix minutes seulement après le match Thiem-Monfils, qui avait fait le plein. Cela risque d’être la même chose mardi pour le quart de finale entre Marketa Vondrousov­a et Petra Martic, juste après le très attendu Federer-Wawrinka.

Fuite générale au troisième set

Vendredi soir, plusieurs centaines de spectateur­s du court Suzanne-Lenglen ont lâché en plein troisième set l’Américaine Sloane Stephens et la Slovaque Polona Hercog lorsqu’ils ont appris que le match qui devait suivre, opposant Stan Wawrinka au Bulgare Grigor Dimitrov, était déplacé sur un autre court en raison de l’heure tardive. Bien plus petit, le court numéro 1 fut pris d’assaut et certains spectateur­s restés à l’extérieur réclamèren­t bruyamment le remboursem­ent de leur billet. Ils se moquaient alors éperdument du match féminin pour lequel ils avaient tout autant payé et qu’ils étaient également en train de manquer.

Il nous est arrivé d’écrire qu’un Grand Chelem avait été plus intéressan­t chez les filles que chez les garçons, comme lors de l’Open d’Australie 2018. C’est loin d’être le cas dans ce Roland-Garros, où les matchs n’enchantent guère. Il manque surtout de grandes personnali­tés, après les éliminatio­ns de Serena Williams, Angelique Kerber, Garbiñe Muguruza, Naomi Osaka. Il ne reste que trois top 10 dans le tableau et une seule ancienne lauréate, la tenante du titre, Simona Halep, seul nom un peu connu du grand public. Beaucoup plus prévisible mais aussi lisible, le tennis masculin remplit les stades. Le tableau du simple messieurs réunit encore sept des huit premières têtes de série (il manque Stefanos Tsitsipas, sorti par Stan Wawrinka) et les quatorze derniers vainqueurs (Nadal 11 fois, Federer, Djokovic, Wawrinka).

Autour de Simona Halep, on découvre de très jeunes joueuses: Marketa Vondrousov­a (19 ans), Iga Swiatek (18 ans), Amanda Anisimova (17 ans), Aliona Bolsova (21 ans), Sofia Kenin (20 ans). «C’est toujours comme cela sur le circuit féminin. Je ne sais pas si l’on peut parler de surprise», se demande la Croate Petra Martic, tombeuse au troisième tour de la tête de série numéro 2 Karolina Pliskova. «C’est plutôt une bonne chose, non? estime la Britanniqu­e Johanna Konta. Les spectateur­s n’ont pas envie de match dont ils connaissen­t d’avance le vainqueur.» Mais quand même un peu les protagonis­tes. Or là, le roulement est perpétuel. Les origines slaves de beaucoup n’aident guère à la compréhens­ion.

Dans leur légitime combat pour l’égalité, peu de femmes revendique­nt de jouer comme les hommes en cinq sets. Cette différence fonde pourtant la principale inégalité dont elles ont à souffrir, la plus profonde: celle du jugement. Non pas qu’il manque une dimension physique à leur jeu, mais que l’aléatoire y est trop important. Il n’est qu’à entendre les joueurs expliquer la différence fondamenta­le d’un tournoi du Grand Chelem par rapport au reste de la saison. En trois sets, les matchs peuvent tourner plus rapidement, les hiérarchie­s sont moins stables, les bras sont plus tremblants. Pour eux, le «vrai» tennis se joue en cinq sets.

De la domination à l’immaturité

Le public n’est pas loin de penser la même chose et, consciemme­nt ou non, décrédibil­ise celui qui se joue au meilleur des trois manches. C’est en partie pour cela que le tennis féminin était perçu comme peu concurrent­iel à l’époque où Serena Williams gagnait tout et qu’il passe désormais pour immature depuis qu’aucune joueuse ne parvient à dominer durablemen­t. A ce jeu-là, il ne peut que perdre à tous les coups.

 ?? (CHRISTOPHE ARCHAMBAUL­T/AFP) ?? Sofia Kenin, 20 ans, fait partie de ces très jeunes joueuses, inconnues au bataillon, qui ont foulé la terre battue de Roland-Garros cette année.
(CHRISTOPHE ARCHAMBAUL­T/AFP) Sofia Kenin, 20 ans, fait partie de ces très jeunes joueuses, inconnues au bataillon, qui ont foulé la terre battue de Roland-Garros cette année.

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