CFF et BLS, le bras de fer des compagnons de voyage
Les CFF ont-ils vraiment proposé de racheter leur concurrent bernois? Quoi qu’il en soit, cette affaire illustre le malaise qui oppose les deux principaux opérateurs ferroviaires du pays
RAIL Les CFF ont démenti les rumeurs sur leur offre d’achat de la compagnie bernoise ou le projet de participation à son capital
Cependant, un certain malaise est perceptible depuis l’attribution au BLS de deux concessions pour le trafic grandes lignes
Les deux concurrents se disent pourtant prêts à collaborer pour le bien des clients
Andreas Meyer a-t-il réellement fait une offre de rachat ou de prise de participation des CFF au capital de la compagnie bernoise BLS, comme l’a laissé entendre la SonntagsZeitung? Porte-parole de l’entreprise nationale, Frédéric Revaz dément: «Contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse du dimanche, les CFF n’ont pas déposé d’offre d’achat du BLS. Les CFF n’ont pas non plus de plan de participation au capital du BLS», affirme-t-il. Une rencontre entre le patron des CFF et le conseiller d’Etat Christoph Neuhaus a pourtant bien eu lieu la semaine passée. Ce dernier l’a confirmé à l’hebdomadaire alémanique. De tels entretiens ne sont pas inhabituels.
Selon le journal zurichois, Andreas Meyer aurait proposé de mettre 50 à 60 millions sur la table, ce qui, reconnaît Christoph Neuhaus, correspond grosso modo à la valeur boursière du BLS. Le magistrat bernois est cependant catégorique: le BLS n’est pas à vendre. Il rappelle d’ailleurs dans la Berner Zeitung de lundi qu’une telle décision devrait être avalisée par le gouvernement et le parlement bernois, voire par le peuple. Le canton de Berne possède 55,75% du capital de la compagnie, la Confédération 21,7%. De son côté, Frédéric Revaz ajoute qu’«une participation au capital du BLS ne serait examinée que si notre propriétaire [ndlr: la Confédération] l’exigeait. Actuellement, cela n’est pas le cas.»
Pacte de non-agression
La toile de fond de cette affaire, c’est le conflit qui oppose les CFF au BLS pour le trafic grandes lignes. Pendant une quinzaine d’années, les deux principaux opérateurs ferroviaires du pays se sont partagé le marché. Sur la base d’un pacte de non-agression datant de 2004, les CFF ont conservé le monopole sur le réseau grandes lignes alors que le BLS s’est vu attribuer le RER bernois, qui s’est progressivement étendu – ses trains vert et gris circulent sur un périmètre qui englobe Brigue, Domodossola (I), Payerne, Neuchâtel, La Chaux-deFonds, Soleure et Lucerne. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Puis, à l’époque de la conseillère fédérale Doris Leuthard, l’Office fédéral des transports (OFT) a décidé d’ouvrir le réseau grandes lignes à la concurrence. Le BLS a déposé une requête pour cinq liaisons: Berne-Neuchâtel-Le Locle, Berne-Bienne, Berne-Berthoud-Olten, Bâle-Berne-Brigue et Bâle-Berne-Interlaken. En juin 2018, l’OFT ne lui a accordé que deux concessions, entre Berne et Bienne et entre Berne et Olten, cela pour le changement d’horaire du 15 décembre 2019. Pour les CFF, c’est déjà trop. Invoquant un «changement de système ayant des répercussions considérables sur le système de transports publics en Suisse», ils ont déposé un recours contre la décision de l’OFT auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Le TAF n’ayant pas accordé l’effet suspensif, le BLS a fait savoir au début du mois de mai qu’il ne serait pas en mesure de reprendre l’exploitation de ces deux connexions à la date prévue. Il «planifie le changement d’horaire de décembre 2019 sans trafic grandes lignes».
Grande ligne BLS contre ligne directe CFF
Le refus de l’OFT d’accorder au BLS la concession grande ligne entre Berne, Neuchâtel et les Montagnes neuchâteloises suscite lui aussi des commentaires. Dès décembre 2020, ce sont les CFF qui reprendront l’exploitation de cet axe, avec leurs propres trains. Or, les CFF sont également à la manoeuvre pour remplacer l’axe historique Neuchâtel-La Chauxde-Fonds par une nouvelle ligne directe qui raccourcira de moitié le temps de parcours entre les deux villes. Ce projet doit être avalisé ce mardi par le Conseil national. Le Conseil des Etats a déjà donné son feu vert. Le BLS n’avait donc pas de bonnes cartes en main pour conserver cette prestation dans son portefeuille, notent plusieurs observateurs.
C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’intention attribuée à Andreas Meyer de mettre la main sur le BLS. «Du point de vue entrepreneurial, il a sans doute la volonté d’éliminer son concurrent», relève le conseiller national Manfred Bühler (UDC/BE), membre de la Commission des transports. «Or, la concurrence est une bonne chose pour la diversité de l’offre. Elle peut permettre de tester d’autres modèles tarifaires et d’offrir un autre service à la clientèle», ajoute-t-il.
Il faut toutefois préciser que le BLS estime qu’il faudrait plus que deux concessions grandes lignes pour améliorer le service à bord, comme le service à la place ou le wi-fi. De leur côté, les CFF disent qu’ils continuent de tendre la main à leur futur concurrent afin de coopérer. «Pour les CFF, l’objectif prioritaire est d’avoir un trafic grandes lignes efficace et performant, avec un bon rapport qualité-prix. Ils ont donc relancé ces derniers jours les discussions avec le BLS pour une collaboration constructive», explique Frédéric Revaz. Christoph Neuhaus espère lui aussi renouer le dialogue avec le numéro un du marché.
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«Les CFF ont relancé ces derniers jours les discussions avec le BLS pour une collaboration constructive» FRÉDÉRIC REVAZ PORTE-PAROLE DES CFF