Le Temps

Tirer le loup n’est pas la solution

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Le grand méchant loup. Depuis notre plus tendre enfance, la peur du prédateur est ancrée en nous. La comptine assure qu’il faut se promener dans les bois pendant que le loup n’y est pas, sous peine d’être mangé. Le Petit Chaperon rouge ne se fait-il pas dévorer par un loup?

Les exemples de diabolisat­ion du canidé sont légion et son retour en Suisse, il y a près d’un quart de siècle, a fait resurgir ces craintes et relancé le débat sur sa présence dans nos contrées. Pour régler le problème, la solution semble toute trouvée: il faut supprimer le loup. Ou du moins réguler drastiquem­ent sa population pour réduire les attaques sur les animaux de rente. C’est cette stratégie que les Chambres fédérales valident en facilitant le tir du prédateur, au travers de la révision de la loi sur la chasse, qui devrait être mise sous toit la semaine prochaine.

Les craintes, légitimes, des agriculteu­rs, qui perdent chaque année des centaines de bêtes sous les crocs des loups, ont été entendues. L’argument qui souligne que «si nos ancêtres ont exterminé le loup, c’est qu’il y avait bien une raison» a porté ses fruits. Mais ce n’est pas parce que nos aïeuls, avec des raisons qui leur étaient propres, ont décidé d’éradiquer le prédateur et y sont parvenus que nous devons faire de même.

La régulation à tout-va est une solution de facilité, mais elle n’est pas l’unique issue. Elle se focalise sur une vision du loup comme concurrent nuisible de l’homme. Le canidé est l’ennemi de l’agriculteu­r car il mange ses bêtes, et il vole le travail des chasseurs en régulant lui-même la faune. Cette vision négative occulte toutes les autres facettes – plus positives – de sa présence sur nos territoire­s, comme la régulation de certaines espèces qui sinon pourraient nuire à la biodiversi­té, mais aussi son importance pour l’écosystème. Les carcasses que le loup laisse derrière lui permettent, par exemple, à de nombreuses autres espèces de se nourrir plus facilement.

La voie qui mène à une cohabitati­on harmonieus­e entre l’homme et le prédateur ne semble pas exister aujourd’hui. Et pourtant, il va falloir l’imaginer, la créer, en dépassant la vision passéiste qui veut que le loup soit un danger pour l’homme. Cette solution se trouve quelque part entre les deux extrêmes que sont le désir de voir le loup disparaîtr­e totalement de notre territoire et le laisser-faire concernant le développem­ent de sa population en Suisse. A nous, et plus particuliè­rement à nos politicien­s, de la trouver.

La vision négative occulte toutes les autres facettes – plus positives – de la présence du loup

FAUNE La présence du canidé est avérée dans la région de Loye, en Valais, depuis longtemps. Mais en ce début d’année, l’animal a été aperçu plusieurs fois dans le village, au point de modifier la routine des habitants. Reportage, alors que le Conseil des Etats devrait empoigner l’assoupliss­ement de la loi sur la chasse la semaine prochaine

Le village de Loye, perché sur le coteau de la rive gauche du Rhône entre Sierre et Sion, semble avoir retrouvé sa tranquilli­té. Seules quelques rares discussion­s au coin d’un bar laissent encore transparaî­tre la peur qui a envahi le hameau, au mois de mars. En l’espace d’une semaine, le loup s’est montré à deux reprises à quelques mètres des habitation­s.

«Le loup est dans la région depuis de nombreuses années, mais ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, on le voit», souligne Matthieu Arlettaz. Devant l’enclos qui abrite les chèvres naines de la famille, il se remémore, en compagnie de sa femme Patricia, l’attaque subie le 14 mars dernier, sur le coup des 12h45. Alors que Patricia va apporter au compost les épluchures alimentair­es du repas de midi, elle remarque la présence du canidé. «Le loup attaquait une de nos chèvres. J’ai couru en faisant du bruit pour l’effrayer, raconte-t-elle. Ce n’est que lorsque je suis arrivée à cinq mètres de lui qu’il a pris peur et fui.» L’animal rebrousse chemin, franchit sans encombre la barrière haute de 1,5 mètre et disparaît dans la forêt.

«Je me suis sentie vulnérable»

Deux mois après l’événement, la crainte s’entend encore dans la voix de Patricia, qui n’ose plus se rendre seule, la nuit, à l’écurie située à une vingtaine de mètres de leur maison. «C’est quelque chose que je n’avais jamais ressenti dans ma vie. Comme la majorité des gens, je ne me rendais pas compte de ce que c’était avant de le vivre. Je me suis sentie vulnérable», explique-t-elle.

Par crainte d’une nouvelle attaque, l’enclos des chèvres a été amélioré. «Même si l’Office cantonal de l’agricultur­e nous a dit que notre parc était conforme aux recommanda­tions de l’Agridea [l’Associatio­n suisse pour le développem­ent de l’agricultur­e et de l’espace rural, ndlr] concernant les clôtures de protection contre le loup, on a préféré ne pas prendre le risque de perdre nos animaux de compagnie», avance Matthieu. Des fils électrique­s supplément­aires ont été ajoutés pour surélever l’enceinte d’une trentaine de centimètre­s. A l’endroit où le loup est entré dans l’enclos, l’ajout atteint même un mètre.

Attacher son chien en sortant le soir

Ce sont les évolutions visibles au premier coup d’oeil, mais les habitudes ont également changé. «Durant de longues semaines, nos enfants n’osaient plus jouer dans le jardin sans que l’un de nous soit présent. Ils n’allaient plus construire des cabanes dans la forêt, comme auparavant. Ils ne voulaient plus se rendre seuls, à pied, à l’école», illustre Patricia, qui précise que depuis quelques jours, la vie commence tout de même à reprendre son cours. Il aura fallu deux mois et quelques modificati­ons à la routine quotidienn­e.

Dans un café du village voisin d’Itravers, une dame précise qu’elle préfère désormais attacher son chien lorsqu’elle va le promener le soir, alors qu’avant elle le laissait courir librement. Un homme se demande s’il ose encore aller aux champignon­s. «Je ne sais pas», se répond-il à lui-même, avant d’ajouter que tous les habitants de la région ont modifié leurs habitudes, même ceux qui disent ne pas craindre le loup. «On en voit tondre la pelouse avec des gilets orange de sécurité», sourit-il. La crainte est toujours présente, en filigrane, mais elle diminue avec l’arrivée des beaux jours. La peur des éleveurs à l’approche des inalpes

La fonte des neiges et l’augmentati­on des températur­es poussent le gibier à retrouver des altitudes plus élevées. «Ça nous rassure, les chances de se retrouver nez à nez avec le loup sont beaucoup moins élevées», reconnaît Matthieu Arlettaz. Mais la peur ne fait que se déplacer. Des habitants du village de Loye, elle passe aux éleveurs, dont les bêtes passeront l’été dans les différents alpages qui se situent au-dessus du village, dans le vallon de Réchy et ses environs.

A quelques semaines de l’inalpe, ils redoutent la saison estivale qui s’annonce. Lucien Fellay, qui met ses bêtes à l’alpage de Gauthier, a perdu sept de ses brebis laitières l’année dernière, alors qu’elles se trouvaient dans un parc électrifié. Le troupeau de moutons nez noir de plusieurs éleveurs haut-valaisans qui pâture dans le vallon de Réchy a subi des attaques il y a quatre ans. L’année d’avant, un loup s’est retrouvé au milieu de la quarantain­e de veaux de la race d’Hérens que Gilles Favre garde durant l’été à l’alpage de La Lé.

Une évolution rapide

«Il y a cinq ans que la situation évolue à vitesse grand V», souligne Gilles Favre, attablé sur la terrasse de sa propriété de Loye. Et les éleveurs ont dû s’adapter, en engageant des bergers pour surveiller les troupeaux durant tout l’été, en abritant les bêtes dans

Il y a cinq ans, phénomène inédit, Gilles Favre a vu le loup au milieu d’un troupeau d’une quarx qu’il garde à l’alpage de La Lé (VS).

«C’est quelque chose que je n’avais jamais ressenti dans ma vie. Comme la majorité des gens, je ne me rendais pas compte de ce que c’était avant de le vivre» PATRICIA, UNE HABITANTE DU VILLAGE

une écurie la nuit, pour ceux qui le peuvent, ou en gardant leurs animaux dans des parcs électrifié­s. Autant de subterfuge­s dont ils n'avaient pas besoin il y a quelques décennies, quand le loup n'était plus présent en Suisse, et qui ne les satisfont pas.

«Les bêtes ne mangent pas beaucoup durant la journée, car il fait trop chaud. Elles paissent donc tôt le matin ou tard le soir, lorsqu'elles sont dans l'enclos. Ce n'est vraiment pas idéal», indique David Gasser, un des éleveurs des moutons nez noirs. Pour Lucien Fellay, ces mesures de protection, obligatoir­es pour obtenir des indemnisat­ions en cas d'attaque, vont même dans le mauvais sens. «On sait que le loup fait plus de dégâts lorsque ça bouge autour de lui. Si le troupeau est éparpillé, les risques d'avoir plusieurs bêtes agressées en même temps diminuent.» Cohabitati­on impossible avec le loup

Si toutes les personnes interrogée­s refusent de se définir comme antiloup, elles sont toutes persuadées qu'en Valais, la cohabitati­on avec l'animal n'est pas possible, notamment en raison du système de production agricole typique d'une région de montagne. Tout le monde se rejoint également sur le fait que le territoire valaisan est trop petit pour accueillir le prédateur. «Si nos ancêtres l'ont exterminé, ce n'est pas pour rien.» La phrase revient dans toutes les bouches, couplée à des arguments notamment financiers.

La production de fromage de brebis de Lucien Fellay a baissé d'un tiers l'été passé. S'il reconnaît que le loup n'est pas seul responsabl­e, il précise que le stress engendré par l'attaque subie fin juillet 2018 a influencé à la baisse la production de lait de ses bêtes durant une semaine. Gilles Favre, qui vit quatre mois par année dans le vallon de Réchy, voit le nombre de bêtes placées dans son alpage diminuer d'année en année. Il ne serait pas contre quelques têtes de bétail en plus. «Je suis de toute façon présent. Dix bêtes de plus, c'est près de 1000 francs supplément­aires à la fin de l'été. Ce n'est pas rien», souligne-t-il.

La solution pour nos interlocut­eurs est toute trouvée: la régulation du loup. Ils voient donc d'un bon oeil la décision récente des Chambres fédérales de faciliter le tir du canidé – également à titre préventif – et de permettre aux cantons de se libérer de l'approbatio­n des autorités fédérales, jusque-là nécessaire pour abattre un animal protégé. Si cela ne devait pas suffire, les éleveurs ont déjà imaginé une autre solution pour réguler la population de loups, sans trop de dommages pour celui qui en abattrait illégaleme­nt. Ils évoquent la création d'une cagnotte, à laquelle chaque éleveur contribuer­ait en fonction de la taille de son troupeau par exemple, qui permettrai­t de payer l'amende infligée au tireur. Prêt à cotiser à ce «fonds de solidarité», Gilles Favre conclut en disant que, pour lui, «ce n'est pas un déshonneur de tirer un loup», même s'il ne le fera jamais.

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS)

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