Tirer le loup n’est pas la solution
Le grand méchant loup. Depuis notre plus tendre enfance, la peur du prédateur est ancrée en nous. La comptine assure qu’il faut se promener dans les bois pendant que le loup n’y est pas, sous peine d’être mangé. Le Petit Chaperon rouge ne se fait-il pas dévorer par un loup?
Les exemples de diabolisation du canidé sont légion et son retour en Suisse, il y a près d’un quart de siècle, a fait resurgir ces craintes et relancé le débat sur sa présence dans nos contrées. Pour régler le problème, la solution semble toute trouvée: il faut supprimer le loup. Ou du moins réguler drastiquement sa population pour réduire les attaques sur les animaux de rente. C’est cette stratégie que les Chambres fédérales valident en facilitant le tir du prédateur, au travers de la révision de la loi sur la chasse, qui devrait être mise sous toit la semaine prochaine.
Les craintes, légitimes, des agriculteurs, qui perdent chaque année des centaines de bêtes sous les crocs des loups, ont été entendues. L’argument qui souligne que «si nos ancêtres ont exterminé le loup, c’est qu’il y avait bien une raison» a porté ses fruits. Mais ce n’est pas parce que nos aïeuls, avec des raisons qui leur étaient propres, ont décidé d’éradiquer le prédateur et y sont parvenus que nous devons faire de même.
La régulation à tout-va est une solution de facilité, mais elle n’est pas l’unique issue. Elle se focalise sur une vision du loup comme concurrent nuisible de l’homme. Le canidé est l’ennemi de l’agriculteur car il mange ses bêtes, et il vole le travail des chasseurs en régulant lui-même la faune. Cette vision négative occulte toutes les autres facettes – plus positives – de sa présence sur nos territoires, comme la régulation de certaines espèces qui sinon pourraient nuire à la biodiversité, mais aussi son importance pour l’écosystème. Les carcasses que le loup laisse derrière lui permettent, par exemple, à de nombreuses autres espèces de se nourrir plus facilement.
La voie qui mène à une cohabitation harmonieuse entre l’homme et le prédateur ne semble pas exister aujourd’hui. Et pourtant, il va falloir l’imaginer, la créer, en dépassant la vision passéiste qui veut que le loup soit un danger pour l’homme. Cette solution se trouve quelque part entre les deux extrêmes que sont le désir de voir le loup disparaître totalement de notre territoire et le laisser-faire concernant le développement de sa population en Suisse. A nous, et plus particulièrement à nos politiciens, de la trouver.
La vision négative occulte toutes les autres facettes – plus positives – de la présence du loup
FAUNE La présence du canidé est avérée dans la région de Loye, en Valais, depuis longtemps. Mais en ce début d’année, l’animal a été aperçu plusieurs fois dans le village, au point de modifier la routine des habitants. Reportage, alors que le Conseil des Etats devrait empoigner l’assouplissement de la loi sur la chasse la semaine prochaine
Le village de Loye, perché sur le coteau de la rive gauche du Rhône entre Sierre et Sion, semble avoir retrouvé sa tranquillité. Seules quelques rares discussions au coin d’un bar laissent encore transparaître la peur qui a envahi le hameau, au mois de mars. En l’espace d’une semaine, le loup s’est montré à deux reprises à quelques mètres des habitations.
«Le loup est dans la région depuis de nombreuses années, mais ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui, on le voit», souligne Matthieu Arlettaz. Devant l’enclos qui abrite les chèvres naines de la famille, il se remémore, en compagnie de sa femme Patricia, l’attaque subie le 14 mars dernier, sur le coup des 12h45. Alors que Patricia va apporter au compost les épluchures alimentaires du repas de midi, elle remarque la présence du canidé. «Le loup attaquait une de nos chèvres. J’ai couru en faisant du bruit pour l’effrayer, raconte-t-elle. Ce n’est que lorsque je suis arrivée à cinq mètres de lui qu’il a pris peur et fui.» L’animal rebrousse chemin, franchit sans encombre la barrière haute de 1,5 mètre et disparaît dans la forêt.
«Je me suis sentie vulnérable»
Deux mois après l’événement, la crainte s’entend encore dans la voix de Patricia, qui n’ose plus se rendre seule, la nuit, à l’écurie située à une vingtaine de mètres de leur maison. «C’est quelque chose que je n’avais jamais ressenti dans ma vie. Comme la majorité des gens, je ne me rendais pas compte de ce que c’était avant de le vivre. Je me suis sentie vulnérable», explique-t-elle.
Par crainte d’une nouvelle attaque, l’enclos des chèvres a été amélioré. «Même si l’Office cantonal de l’agriculture nous a dit que notre parc était conforme aux recommandations de l’Agridea [l’Association suisse pour le développement de l’agriculture et de l’espace rural, ndlr] concernant les clôtures de protection contre le loup, on a préféré ne pas prendre le risque de perdre nos animaux de compagnie», avance Matthieu. Des fils électriques supplémentaires ont été ajoutés pour surélever l’enceinte d’une trentaine de centimètres. A l’endroit où le loup est entré dans l’enclos, l’ajout atteint même un mètre.
Attacher son chien en sortant le soir
Ce sont les évolutions visibles au premier coup d’oeil, mais les habitudes ont également changé. «Durant de longues semaines, nos enfants n’osaient plus jouer dans le jardin sans que l’un de nous soit présent. Ils n’allaient plus construire des cabanes dans la forêt, comme auparavant. Ils ne voulaient plus se rendre seuls, à pied, à l’école», illustre Patricia, qui précise que depuis quelques jours, la vie commence tout de même à reprendre son cours. Il aura fallu deux mois et quelques modifications à la routine quotidienne.
Dans un café du village voisin d’Itravers, une dame précise qu’elle préfère désormais attacher son chien lorsqu’elle va le promener le soir, alors qu’avant elle le laissait courir librement. Un homme se demande s’il ose encore aller aux champignons. «Je ne sais pas», se répond-il à lui-même, avant d’ajouter que tous les habitants de la région ont modifié leurs habitudes, même ceux qui disent ne pas craindre le loup. «On en voit tondre la pelouse avec des gilets orange de sécurité», sourit-il. La crainte est toujours présente, en filigrane, mais elle diminue avec l’arrivée des beaux jours. La peur des éleveurs à l’approche des inalpes
La fonte des neiges et l’augmentation des températures poussent le gibier à retrouver des altitudes plus élevées. «Ça nous rassure, les chances de se retrouver nez à nez avec le loup sont beaucoup moins élevées», reconnaît Matthieu Arlettaz. Mais la peur ne fait que se déplacer. Des habitants du village de Loye, elle passe aux éleveurs, dont les bêtes passeront l’été dans les différents alpages qui se situent au-dessus du village, dans le vallon de Réchy et ses environs.
A quelques semaines de l’inalpe, ils redoutent la saison estivale qui s’annonce. Lucien Fellay, qui met ses bêtes à l’alpage de Gauthier, a perdu sept de ses brebis laitières l’année dernière, alors qu’elles se trouvaient dans un parc électrifié. Le troupeau de moutons nez noir de plusieurs éleveurs haut-valaisans qui pâture dans le vallon de Réchy a subi des attaques il y a quatre ans. L’année d’avant, un loup s’est retrouvé au milieu de la quarantaine de veaux de la race d’Hérens que Gilles Favre garde durant l’été à l’alpage de La Lé.
Une évolution rapide
«Il y a cinq ans que la situation évolue à vitesse grand V», souligne Gilles Favre, attablé sur la terrasse de sa propriété de Loye. Et les éleveurs ont dû s’adapter, en engageant des bergers pour surveiller les troupeaux durant tout l’été, en abritant les bêtes dans
Il y a cinq ans, phénomène inédit, Gilles Favre a vu le loup au milieu d’un troupeau d’une quarx qu’il garde à l’alpage de La Lé (VS).
«C’est quelque chose que je n’avais jamais ressenti dans ma vie. Comme la majorité des gens, je ne me rendais pas compte de ce que c’était avant de le vivre» PATRICIA, UNE HABITANTE DU VILLAGE
une écurie la nuit, pour ceux qui le peuvent, ou en gardant leurs animaux dans des parcs électrifiés. Autant de subterfuges dont ils n'avaient pas besoin il y a quelques décennies, quand le loup n'était plus présent en Suisse, et qui ne les satisfont pas.
«Les bêtes ne mangent pas beaucoup durant la journée, car il fait trop chaud. Elles paissent donc tôt le matin ou tard le soir, lorsqu'elles sont dans l'enclos. Ce n'est vraiment pas idéal», indique David Gasser, un des éleveurs des moutons nez noirs. Pour Lucien Fellay, ces mesures de protection, obligatoires pour obtenir des indemnisations en cas d'attaque, vont même dans le mauvais sens. «On sait que le loup fait plus de dégâts lorsque ça bouge autour de lui. Si le troupeau est éparpillé, les risques d'avoir plusieurs bêtes agressées en même temps diminuent.» Cohabitation impossible avec le loup
Si toutes les personnes interrogées refusent de se définir comme antiloup, elles sont toutes persuadées qu'en Valais, la cohabitation avec l'animal n'est pas possible, notamment en raison du système de production agricole typique d'une région de montagne. Tout le monde se rejoint également sur le fait que le territoire valaisan est trop petit pour accueillir le prédateur. «Si nos ancêtres l'ont exterminé, ce n'est pas pour rien.» La phrase revient dans toutes les bouches, couplée à des arguments notamment financiers.
La production de fromage de brebis de Lucien Fellay a baissé d'un tiers l'été passé. S'il reconnaît que le loup n'est pas seul responsable, il précise que le stress engendré par l'attaque subie fin juillet 2018 a influencé à la baisse la production de lait de ses bêtes durant une semaine. Gilles Favre, qui vit quatre mois par année dans le vallon de Réchy, voit le nombre de bêtes placées dans son alpage diminuer d'année en année. Il ne serait pas contre quelques têtes de bétail en plus. «Je suis de toute façon présent. Dix bêtes de plus, c'est près de 1000 francs supplémentaires à la fin de l'été. Ce n'est pas rien», souligne-t-il.
La solution pour nos interlocuteurs est toute trouvée: la régulation du loup. Ils voient donc d'un bon oeil la décision récente des Chambres fédérales de faciliter le tir du canidé – également à titre préventif – et de permettre aux cantons de se libérer de l'approbation des autorités fédérales, jusque-là nécessaire pour abattre un animal protégé. Si cela ne devait pas suffire, les éleveurs ont déjà imaginé une autre solution pour réguler la population de loups, sans trop de dommages pour celui qui en abattrait illégalement. Ils évoquent la création d'une cagnotte, à laquelle chaque éleveur contribuerait en fonction de la taille de son troupeau par exemple, qui permettrait de payer l'amende infligée au tireur. Prêt à cotiser à ce «fonds de solidarité», Gilles Favre conclut en disant que, pour lui, «ce n'est pas un déshonneur de tirer un loup», même s'il ne le fera jamais.
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