Des pistes pour juger les djihadistes
Une douzaine de pays occidentaux, dont la Suisse, se réunissent en Suède pour plancher sur la création d’une cour spéciale
L’idée d’un tribunal international pour juger les combattants de l’Etat islamique semble séduire de plus en plus de pays occidentaux
Lundi, des experts d’une douzaine de pays – dont la Suisse – se sont réunis à Stockholm pour réfléchir aux possibilités de créer une telle structure
La mise en place serait longue, coûteuse et compliquée mais constituerait une alternative à la justice expéditive pratiquée par les tribunaux irakiens
Les sceptiques se font également entendre: certains accusent l’Europe de vouloir tenir ses djihadistes à l’écart, d’autres critiquent le principe de «justice sélective»
Est-ce la bouée de sauvetage qu’attendaient les Européens? Lundi, des experts d’une douzaine de pays occidentaux – dont la Suisse – se sont réunis à Stockholm afin de plancher sur la manière de créer un tribunal international pour juger les combattants de l’Etat islamique (Daech). La preuve que cette idée séduit de plus en plus d’Etats, confrontés au retour possible de leurs propres ressortissants partis faire le djihad en Irak et en Syrie? Il y a quelques semaines, lorsque les dirigeants suédois ont commencé à sonder leurs partenaires sur la question, seuls la Grande-Bretagne, la France et les Pays-Bas avaient manifesté leur intérêt. «Nous voyons croître un certain intérêt politique», explique-t-on au Ministère de la justice suédois.
Garder les djihadistes à distance
A l’instar des autres Etats occidentaux, la Suisse s’est montrée peu empressée de rapatrier ses djihadistes et leur famille (il y aurait une vingtaine de Suisses dans la région, parmi le millier d’étrangers arrêtés en Irak et en Syrie). Alors que la Confédération s’en remet en principe aux justices locales (syrienne ou irakienne), elle a tout de même dépêché en Suède une délégation composée d’experts du Département fédéral des affaires étrangères et du Département de justice et police. «Cette réunion permet d’échanger des informations, sans que des décisions ne soient prises», note cependant de manière prudente la porte-parole Anne-Florence Débois.
«Ce n’est pas une simple affaire, confirmait pour sa part le ministre suédois de l’Intérieur, Mikael Damberg, l’amphitryon de la réunion. Mais ce n’est pas parce que quelque chose est difficile à comprendre qu’il ne faut pas chercher les possibilités d’y arriver.» Pour la Suède, il s’agirait de créer ce tribunal international dans la région même où les crimes ont été commis afin – officiellement – de rendre plus simple l’accès aux preuves et la convocation de témoins. Les plus cyniques suspectent pourtant la Suède, et le reste des Européens, de chercher tous les moyens possibles d’éviter que leurs djihadistes, puissent se rapprocher de l’Europe. Quitte pour cela à «réfléchir» à la création d’un tribunal qui, de fait, se révélerait tout simplement irréalisable.
Sur le papier, les choses semblent aisées. Il s’agirait de s’inspirer des tribunaux qui se sont formés après les guerres en ex-Yougoslavie ou le génocide au Rwanda. En Irak et en Syrie, à mesure que «le califat» de l’Etat islamique était détruit, surgissait aussi l’ampleur des crimes commis: les fosses communes contiendraient au moins 12000 victimes en Irak et 5000 en Syrie. Daech est accusé d’avoir commis un génocide à l’encontre des Yézidis dans la province irakienne du Sinjar. «Va-t-on laisser passer cela sans broncher?» demandait récemment en substance Mikael Damberg, en évoquant «l’obligation morale» de juger ces crimes pour «les inscrire dans les livres d’histoire».
Les tribunaux de Bagdad ont multiplié ces derniers temps les condamnations à mort, au terme de jugements liquidés en un quart d’heure. Une justice expéditive qui, au-delà des droits des accusés eux-mêmes, n’apporte aucune réparation réelle aux proches des victimes.
L’établissement d’un tribunal international serait-il cependant plus pertinent? La mise en place nécessiterait sans doute des années et coûterait des centaines de millions de dollars. Mais elle susciterait surtout des difficultés en cascade: alors que ces procès semblent impossibles à réaliser en Syrie avec le maintien du régime de Bachar el-Assad, un tel tribunal d’exception est interdit explicitement par la Constitution irakienne et serait d’autant plus malvenu que Bagdad exige le paiement de quelque 2 milliards de dollars pour activer ses propres tribunaux.
«Justice sélective»
De plus, se pose la question de ce que Nadim Houry, de l’organisation Human Rights Watch, appelle «la justice sélective». Pour être monstrueux, les crimes commis par l’Etat islamique ne sont qu’une partie des atrocités qui se sont déroulées (et continuent de se produire) dans la région. Il y a un lustre déjà, une soixantaine de pays avaient tenté de porter le dossier auprès de la Cour pénale internationale. Mais la Russie, alliée du régime de Bachar el-Assad, ainsi que la Chine avaient mis leur veto à une telle éventualité. Alors que des centaines de milliers de personnes ont été tuées en Syrie, comment justifier le fait de s’en tenir aux seuls crimes des djihadistes? «En faisant le tri parmi les victimes, vous n’aidez pas à la réconciliation, mais vous préparez le conflit de demain», commentait récemment Nadim Houry.
«La Suisse continuera à participer activement aux discussions internationales sur la création d’un tribunal spécial, résume pour sa part la Confédération. Mais de nombreuses questions restent ouvertes à l’heure actuelle et les pays divergent quant à leur conception de la mise en oeuvre.»
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Les plus cyniques suspectent les Européens de chercher tous les moyens possibles pour éviter que leurs djihadistes ne puissent se rapprocher