Le Temps

«Le loup n’est pas la source de tous les maux de l’agricultur­e»

- PROPOS RECUEILLIS PAR G. B.

ÉTHOLOGUE

«La véritable question est de savoir ce que nous voulons faire de notre agricultur­e de montagne. Nous sommes une civilisati­on riche, confrontée à l’effondreme­nt de notre système»

COHABITATI­ON Ethologue et directeur de la fondation qui porte son nom, dont le but est d’optimiser la coexistenc­e entre activités humaines et présence des prédateurs, JeanMarc Landry se refuse à être dans les extrêmes et prône la voie du milieu concernant le loup, en essayant de comprendre tous les acteurs

La totalité des personnes que nous avons rencontrée­s et qui vivent dans une région où la présence du loup est confirmée estime que la cohabitati­on avec le canidé n’est pas possible. Vous comprenez cette réaction?

Je la comprends. On la retrouve notamment en Valais, dans certaines vallées, où la protection des troupeaux contre le loup est compliquée. La présence du loup oblige les éleveurs à revoir le système d'élevage. On ne peut plus laisser les animaux de rente seuls. Il faut des bergers et/ou des chiens de protection des troupeaux pour les protéger. Nous cherchons actuelleme­nt des moyens de protection qui permettrai­ent de laisser «vagabonder» les bêtes, comme avant, mais nous n'en avons encore pas trouvé. Il faut toutefois souligner qu'il y a également beaucoup de moutons qui meurent en estive d'autres causes. La prédation est encore peu importante à une large échelle, mais peut être traumatisa­nte au niveau d'une exploitati­on. La véritable question est de savoir ce que nous voulons faire de notre agricultur­e de montagne. Nous sommes une civilisati­on riche, confrontée à l'effondreme­nt de notre système. Nous nous retrouvons face à un challenge qui consiste à changer de mentalité, de paradigme. Nous devons vivre avec la nature et l'environnem­ent qui nous entourent et non pas contre eux. La nature n'est pas extérieure à nous-même, elle n'est pas notre ennemi. Dans le cas qui nous intéresse, le loup représente cette nature. Au lieu de chercher à vivre avec lui, on préfère tuer le problème. Il faudrait, au contraire, préserver les espèces, dont le loup est l'ambassadeu­r, qui vivent chez nous et chercher la cohabitati­on.

Mais comment arriver à cette cohabitati­on?

Cela passe par une meilleure compréhens­ion du loup et des prédateurs en général. C'est paradoxal, mais aujourd'hui, personne ne connaît ou ne cherche à connaître cet animal. On imagine son comporteme­nt et on crée un tas de croyances. Notre recherche démontre, par exemple, que les loups n'attaquent majoritair­ement pas les troupeaux ovins en meute. Il est donc important de mieux comprendre le prédateur, mais aussi comment fonctionne­nt les moyens de protection face à ce même prédateur. Les autorités fédérales et celles de certains cantons jouent aux apprentis sorciers, car il leur manque ces connaissan­ces de base. Certes, il faut garder la possibilit­é de tirer un loup qui pose problème, mais aujourd'hui, nous allons trop loin avec la révision de la loi sur la chasse, discutée au parlement fédéral, qui facilite la régulation du loup. Cet animal n'est pas la source de tous les maux de l'agricultur­e, pourtant on se focalise sur lui. Depuis que j'ai commencé mes recherches sur le loup, près de 30000 exploitati­ons agricoles ont fermé en Suisse! Ce système est en difficulté face à la mondialisa­tion, nos paysans disparaiss­ent et beaucoup de nos paysans de montagne se trouvent dans la précarité. La présence du loup met en lumière cette réalité que l'on ne veut pas voir. J'ai le sentiment que l'on préfère s'attaquer au loup plutôt que d'aider les agriculteu­rs dans leurs difficulté­s.

Vous évoquez les moyens de protection. A Loye, on a vu un loup sauter par-dessus un enclos haut de 1,5 mètre. Ces moyens sont-ils réellement utiles?

Nous savons que certains loups peuvent sauter par-dessus des filets de protection de 90 centimètre­s, mais que la majorité ne le font pas, préférant trouver une faille par-dessous. Les différente­s recherches en Europe démontrent que si l'on augmente la hauteur de ces filets à 1,2 mètre, le canidé ne passe généraleme­nt plus, même s'il doit exister des exceptions comme probableme­nt à Loye. Dans la majorité des cas, ces moyens de protection suffisent, mais pas toujours. Dans le cas de passage par saut, nous cherchons à comprendre comment se fait l'apprentiss­age de cette capacité et si elle peut être transmise à d'autres individus du groupe. C'est grâce à ce genre d'étude que l'on peut améliorer la protection des troupeaux. Enquêter sur place avec des méthodes scientifiq­ues est le premier pas. Nous avons parfois découvert des choses aberrantes, de notre point de vue, comme des enclos à trois côtés uniquement, car un ruisseau ou une falaise était censé protéger le troupeau sur le quatrième côté. Comme les brebis ne passaient pas, les éleveurs pensaient que cela serait également le cas pour les loups.

La prévention va-t-elle évoluer dans les années à venir?

C'est une certitude. On va se diriger vers une protection plus adaptée, mais également mieux comprise, qui tiendra notamment compte des besoins et du bien-être des animaux de rente. Il n'est pas toujours idéal de faire dormir ces animaux dans une écurie ou dans le même parc pendant des semaines afin de les protéger, mais n'oublions pas qu'il y a encore quelques décennies, c'est ainsi qu'on agissait. Notre réflexion se dirige vers une autre direction. Nous souhaitons garder une partie traditionn­elle de la protection des troupeaux, en y ajoutant des évolutions technologi­ques couplées à des changement­s de pratiques. Nous testons par exemple depuis quelques années un collier répulsif – dont le Valais est à l'initiative –, que l'on attacherai­t directemen­t sur les animaux de rente. Ce mécanisme permettra de détecter l'attaque et de punir le loup en une seule exposition. Mais ce type de recherche est complexe, car il demande d'allier la technologi­e aux comporteme­nts déprédateu­rs des loups.

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JEAN-MARC LANDRY

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