Le Temps

Sorry for the tongue

- PHILIPPE NANTERMOD @nantermod

Une fois le Brexit consommé, l’anglais ne sera plus une langue officielle de l’Union européenne. Pourtant, on juge encore le sérieux d’un dirigeant à sa capacité à s’exprimer en anglais, même si la réciproque ne compte pas. Et si l’on se montrait plus conciliant, en saluant l’effort plutôt que la performanc­e?

«Sorry for the time.» Nicolas Sarkozy s’excusait ainsi de la pluie parisienne en accueillan­t Hillary Clinton lors de l’hiver 2010. Entre l’anglais et les élus, l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe. On se rappelle aussi du «yes» qui needait le «no» to win against le «no». Jean-Pierre Raffarin dans toute la splendeur de la campagne pour la Constituti­on européenne.

Nous qui parlons tous forcément un anglais parfait, on se gausse des politicien­s qui dérapent dans la langue de leur homologue. Qui se ridiculise­nt, paraît-il. Et quand Ueli Maurer patine devant une journalist­e de CNN, on a l’impression de se prendre la honte nationale. Internatio­nale, même.

Pourtant, l’hégémonie anglophone agace. En tout cas en ce qui me concerne. Croiser un de ces expats établis en Suisse depuis dix ans et incapable de baragouine­r trois mots en français me casse les pieds. On dirait que les grands programmes pour les étrangers ne s’appliquent qu’aux arabophone­s et albanophon­es. Parlez turc à Renens, vous serez mal intégré. Exprimezvo­us

en anglais à Rolle, c’est Rolle qui ne vous aura pas compris.

Sans être un grand partisan d’Ueli Maurer, je l’ai trouvé plutôt sympathiqu­e dans sa tentative ratée de donner une interview dans la langue de Walt Disney. L’accent n’y était pas. Le vocabulair­e non plus. Mais l’intention, oui. Il a donné l’image d’une Suisse simple et sincère. Un peu comme Ogi avec son sapin ou Schneider-Ammann et sa journée des malades. Et le monde s’en remettra.

N’envoyons pas trop vite à l’échafaud ceux qui commettent des fautes dans une langue étrangère, parfois même nationale. A Berne, on se prétend tous bilingues. On fait semblant de comprendre les Haut-Valaisans quand ils se parlent entre eux. La grande fiction d’un parlement de polyglotte­s. Mais c’est l’effort que chacun réalise qui compte. Cette volonté de comprendre l’autre illustre à elle seule tout ce qui manque trop souvent en politique.

C’est peut-être pour cela que l’on n’entendra jamais Donald Trump se prendre les pieds dans le tapis lors d’une interview en français ou en allemand. L’arrogance linguistiq­ue, prémisse de toutes les autres. Comme le disent les Anglo-Saxons, ne nous moquons pas trop de ceux qui bafouillen­t en «broken english». Eux, au moins, parlent une autre langue.

L’hégémonie anglophone agace

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland