Le Temps

Le couronneme­nt de Pompeo

- FRANÇOIS NORDMANN

Encore un coup de maître de l’ambassadeu­r des Etats-Unis en Suisse, Edward McMullen: il fallait bien que le secrétaire d’Etat Mike Pompeo passe le week-end quelque part, au coeur de sa tournée européenne. Entre une visite de rattrapage à Berlin le vendredi et un engagement au Global Entreprene­urship Summit aux Pays-Bas le lundi, il y avait la soirée du Groupe de Bilderberg le 1er juin à Montreux et le rendez-vous avec son homologue suisse, Ignazio Cassis, à Bellinzone le dimanche: pourquoi ne pas se reposer à Berne?

Il y a tout de même quelque chose de surréalist­e dans cette visite officielle à l’envers, qui a débuté comme un séjour privé: après tout, Berne est le siège des autorités fédérales. Les entretiens avec le ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis – une occasion très rare – auraient pu se dérouler dans la Ville fédérale. Voir le secrétaire d’Etat déambuler dans un Palais fédéral désert en compagnie de l’ancienne présidente du Conseil national Christa Markwalder sans qu’un dignitaire actuel ne se dérange pour l’accueillir est embarrassa­nt, si charmant que soit son guide improvisé – ni président ou vice-président de l’une des Chambres, ni conseiller fédéral ou chancelier pour le saluer…

Il le voulait ainsi, semble-t-il, mais il n’empêche. Quel style! La dernière fois, pour recevoir Madeleine Albright le 17 novembre 1997, trois conseiller­s fédéraux: Flavio Cotti, Adolf Ogi et Kaspar Villiger s’étaient mobilisés. Troisième membre de l’exécutif américain, juste après le président et le vice-président des Etats-Unis, l’hôte illustre n’a donc pas pu voir l’équivalent du Bureau ovale, le Saint des Saints, la salle de réunion du Conseil fédéral… Invité d’honneur à Montreux, il s’en est sûrement donné à coeur joie dans son discours: la Chine, la Russie, l’Europe, le Brexit, la stabilité mondiale, qui sont parmi ses sujets de prédilecti­on, figuraient à l’ordre du jour.

Il a repris quelques-uns de ces thèmes lors de sa rencontre avec le conseiller fédéral Ignazio Cassis, trois jours après son arrivée au château construit par le duc de Milan. C’était d’autant plus nécessaire que le volet diplomatiq­ue de la visite présidenti­elle bâclée à Washington le 16 mai dernier s’est avéré assez mince! Avant d’arriver en Europe, «Mike» avait annoncé qu’il évoquerait le cas Huawei partout où il passerait, dénonçant le risque d’espionnage au profit du Parti communiste chinois, qui pourrait remettre en cause la collaborat­ion avec les services de renseignem­ent des pays laxistes en la matière…

Il a aussi parlé de la représenta­tion des intérêts américains en Iran [message: les Etats-Unis sont prêts à un dialogue sans condition; la Suisse, pour sa part, souhaite que cesse l’escalade de la violence et que les besoins humanitair­es de la population soient pris en compte] et au Venezuela – mandat qui ne fonctionne pas faute d’accord formel de Caracas. Les relations avec la Russie ont aussi été abordées – le chef du Départemen­t des affaires étrangères se rendra à Moscou dans quelques semaines. A-t-on parlé du Moyen-Orient et de l’Atelier économique de Bahreïn, première étape du plan de paix américain? La Suisse y est-elle invitée? Si oui, ira-t-elle? Et sur le plan bilatéral, on n’a pu que répéter ce qui s’est dit à la Maison-Blanche: oui à un accord de libreéchan­ge, mais qui doit inclure au moins partiellem­ent des produits agricoles. N’oublions pas dans ce registre un autre objet de la sollicitud­e américaine.

La visite en Suisse devait servir, selon le Départemen­t d’Etat, à renforcer les liens bilatéraux de nature économique et sécuritair­e. Sécuritair­e? Deux sociétés américaine­s, Boeing (F/A 18 Super Hornet) et Lockheed Martin (F35) sont en compétitio­n pour le choix du futur avion de combat de l’armée suisse, tandis qu’une troisième, Raytheon, a également fait une offre pour le système de défense au sol (Patriot). Et si la visite en Suisse avait aussi pour objectif d’appuyer les démarches de ces fleurons de l’industrie américaine? Oh! d’une simple phrase, en passant, à la fin des entretiens… Des missiles contre du fromage?

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