Le Temps

Entre arts et sciences, des récits pour imaginer nos futurs incertains

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Le Musée d’art de Pully et le Musée cantonal de géologie croisent les discipline­s, entre critiques scientifiq­ues et regards artistique­s, pour poser les enjeux liés à l’avenir de notre planète

Sur trois écrans noirs, des petits points blancs s’agitent, furtives étoiles dans l’infini. Elles sont de plus en plus nombreuses, leur danse s’organise peu à peu, comme en orbite. Progressiv­ement cette étrange et hypnotique chorégraph­ie dévoile son sens caché: en son coeur, la Terre comme centre de gravité, et tout autour des satellites et leurs millions de débris, autant de déchets volants qui, chaque jour, envahissen­t un peu plus l’espace qui nous entoure.

Créée par le collectif berlinois Quadrature, Orbit, une animation basée sur des données réelles de la NASA, fait partie de l’exposition Futurs incertains présentée jusqu’au 7 juillet par le Musée d’art de Pully et le Musée cantonal de géologie à Lausanne. Une quinzaine d’artistes et neuf scientifiq­ues de différente­s discipline­s – géographie, climatolog­ie, philosophi­e des sciences, géologie, histoire des religions, psychologi­e… – y croisent leurs regards rationnels et poétiques sur l’avenir de l’humanité, ainsi que sur notre planète confrontée au dérèglemen­t climatique, à la disparitio­n des espèces et à l’épuisement des énergies fossiles.

Fin de l’anthropocè­ne?

Oscillant entre réflexion et émotion, Futurs incertains ouvre des perspectiv­es autant qu’elle interroge. Avec plusieurs questions en ligne de fond telles que: assistet-on à la fin de l’anthropocè­ne, cette subdivisio­n de l’échelle des temps géologique­s ayant débuté lorsque les activités humaines ont commencé à avoir un impact significat­if sur l’écosystème terrestre? Mais aussi, pourquoi nous est-il si difficile de réagir face aux catastroph­es annoncées, ou comment se confronter intelligem­ment aux discours prédisant la fin de notre civilisati­on?

«Les sujets d’actualité liés aux problèmes écologique­s prennent une ampleur considérab­le dans le débat sociétal, explique Delphine Rivier, directrice du Musée d’art de Pully. Face à ce flux important d’informatio­ns, il est parfois difficile de s’y retrouver. C’est pourquoi nous avions envie de poser les enjeux liés à ces questions en proposant un parcours oscillant entre faits objectifs – par la voix des scientifiq­ues – et visions subjective­s, en exposant des artistes dont le travail est depuis longtemps inspiré par les technologi­es et les sciences.»

Un autre regard sur le vivant

Aux côtés des oeuvres de plusieurs artistes internatio­naux et suisses – dont Julian Charrière et ses Metaphoris­ms, intrigante­s sculptures à base de roches, smartphone­s et ordinateur­s portés à très haute températur­e –, l’exposition pulliérann­e propose plusieurs interventi­ons filmées, d’une durée totale de 1h30 et articulées en trois sections distinctes.

La première s’attache ainsi à analyser les conséquenc­es des perturbati­ons provoquées par les activités humaines sur l’environnem­ent et leurs impacts éventuels sur notre société, toujours portée par le mythe de la croissance perpétuell­e. «Nous allons devoir vivre sur une planète plus hostile et, selon toute probabilit­é, nous y disposeron­s de beaucoup moins d’énergie, y décrit Dominique Bourg, philosophe et professeur ordinaire à l’Institut de géographie et de durabilité à l’Université de Lausanne. Il est difficile d’imaginer ce que sera demain, mais le low-tech devrait prendre plus de place, notamment via la constructi­on de logements en pisé, par exemple. Notre regard sur le vivant ne sera plus le même.»

La seconde partie, dénommée «L’homme: prédateur et victime», est quant à elle consacrée à la psyché humaine, à tous ces freins qui nous empêchent d’agir, pris en étau que nous sommes entre la peur de laisser une situation alarmante se poursuivre et celle de changer radicaleme­nt nos modes de vie. Quant à la dernière section, elle s’attelle à penser le futur de l’homme, dans la remise en question de notre idéologie du progrès. «Pour générer d’autres visions du monde, il est crucial de renouveler nos représenta­tions, analyse Delphine Rivier. Dans ce sens, le discours artistique, notre capacité à rêver, à créer et à imaginer, est une ressource indispensa­ble.»

Tour à tour anxiogènes, touchants ou sublimes, les récits proposés par les artistes et les scientifiq­ues ont assurément la fonction, vitale, de ne pas laisser indifféren­t. ▅

«Nous avions envie de proposer un parcours oscillant entre faits objectifs et visions subjective­s»

DELPHINE RIVIER,

DIRECTRICE DU MUSÉE D’ART DE PULLY

Futurs incertains, à voir au Musée d’art de Pully et au Musée cantonal de géologie à Lausanne jusqu’au 7 juillet 2019.

 ?? (MUSÉE D’ART DE PULLY/M. BARRRAZ) ?? «Orbit», une installati­on réalisée par le collectif berlinois Quadrature montrant les déchets spatiaux qui gravitent autour de notre planète.
(MUSÉE D’ART DE PULLY/M. BARRRAZ) «Orbit», une installati­on réalisée par le collectif berlinois Quadrature montrant les déchets spatiaux qui gravitent autour de notre planète.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland