Le Temps

De l’art de réussir sa fusion

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Monsanto racheté par le groupe Bayer, la fusion du français Essilor et de l’italien Luxottica… 2018 a été une année faste pour le marché des fusions-acquisitio­ns (M&A). En hausse de 20% par rapport à 2017, il a atteint un volume de 4100 milliards de dollars. La troisième meilleure année enregistré­e selon la banque américaine JPMorgan.

En fin d’année, les tensions commercial­es entre la Chine et les Etats-Unis et une volatilité des marchés accrue faisaient craindre un tassement. Pourtant, dans leurs projection­s pour 2019, Deloitte, JPMorgan et Morgan Stanley voyaient le marché M&A rester fort. Dans ce contexte, le conseil d’administra­tion de Renault doit se prononcer ce mardi sur le projet de fusion proposé par Fiat Chrysler Automobile­s (FCA) la semaine dernière. Une opération risquée

Que le marché se porte bien ou non, les fusions-acquisitio­ns sont loin d’être systématiq­uement couronnées de succès. Un euphémisme pour dire que selon les estimation­s les plus optimistes elles échouent une fois sur deux, et dans 80% des cas pour les plus pessimiste­s. Les raisons d’une fusion sont multiples: atteindre une taille critique, réduire les coûts fixes, augmenter les perspectiv­es de nouveaux marchés…

Certaines opérations échouent avant même qu’un accord ne soit conclu. En 2014, l’américain Omnicom et le français Publicis mettent fin à leurs négociatio­ns au bout de neuf mois. Le mariage aurait pu aboutir à la création du leader mondial de la publicité, mais les deux directions ne sont pas parvenues à s’entendre. Le mirage de la fusion entre égaux

Les opérations de fusion-acquisitio­n prennent plusieurs formes. La prise de contrôle, amicale ou hostile, ou encore la fusion entre égaux. Comme le projet proposé par FCA à Renault, qui créerait une nouvelle entité, détenue à parts égales par les actionnair­es des deux groupes.

«Les questions qui touchent à l’intégratio­n des entreprise­s posent souvent problème, commente Thomas Straub, professeur de management internatio­nal à la Geneva School of Economics and Management. Dans ce cas, la gouvernanc­e d’un tel colosse pourrait mener à des conflits de gestion.» Dans ce type de fusion, une des deux entreprise­s s’impose souvent.

La constituti­on du cimentier LafargeHol­cim est un exemple du genre. Rapidement, le groupe suisse est revenu sur la parité d’action prévue et a remis en cause la nomination du directeur général de Lafarge, le Français Bruno Lafont, à la tête de l’ensemble. Affaibli, notamment par ses liens supposés avec l’Etat islamique, Lafarge a aujourd’hui cédé le pas à Holcim. La fusion d’égaux peut aussi être une acquisitio­n déguisée. Présentée comme telle, l’union entre Glencore et Xstrata en 2013 a abouti à l’absorption de ce dernier. Un an après, Xstrata disparaît du nom du groupe. Facteurs humains et culturels négligés

Lorsque les objectifs financiers et économique­s d’une fusion ne sont pas remplis, elle est considérée comme un échec. Sur le papier, les points juridiques d’une bonne fusion sont connus, mais les entreprise­s sous-estiment encore l’effet des différence­s culturelle­s sur les performanc­es économique­s.

«Une proximité géographiq­ue ne veut pas dire que les barrières culturelle­s seront faciles à franchir», rappelle Muriel Durand, responsabl­e du départemen­t organisati­ons, stratégie et management à la South Champagne Business School. La définition d’un bon leader, par exemple, diffère entre Européens. En France, un dirigeant doit être omnipotent et charismati­que, quand la culture anglo-saxonne estime qu’il doit savoir déléguer.

Les différence­s de culture d’entreprise sont aussi sous-estimées. «On a tendance à penser que deux entreprise­s du même secteur, de même taille fusionnero­nt facilement. C’était le cas avec la fusion Sunrise-Orange», constate Ariane Curdy, qui accompagne des entreprise­s dans leur gestion d’équipes multicultu­relles. Les deux opérateurs ont la même ancienneté, mais des valeurs opposées. «Orange, devenue Salt, est l’oeuvre d’un entreprene­ur aux idées un peu folles et Sunrise est issue de la fusion d’entreprise­s fédérales», compare-t-elle. La fusion est finalement rejetée par la Commission de la concurrenc­e en 2010.

Renault et FCA n’en sont qu’aux préliminai­res, mais les deux entreprise­s sont averties. Chrysler avait déjà connu un sérieux revers en s’unissant à Daimler en 1998, avant une séparation en 2007. Une union qui avait failli voir le constructe­ur américain disparaîtr­e. Et Renault envisage une nouvelle fusion, alors qu’elle est encore engluée dans l’échec de ses tentatives avec Nissan.

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ÉTIENNE MEYER-VACHERAND @EtienneMey­Va t

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