Entre Bruxelles et Rome, un filet nommé Conte
Le président du Conseil italien a tenu lundi soir une conférence de presse pour répéter qu’il n’entendait pas conduire son pays dans un bras de fer budgétaire avec Bruxelles
Crise de nerfs ou crise politique plus profonde, sur fond de tensions budgétaires ravivées entre Rome et Bruxelles? L'arrière-plan de la conférence de presse convoquée lundi soir par le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, est en tout cas la surenchère en cours entre Matteo Salvini, le leader de la Lega et l'homme fort du gouvernement de coalition italien, et la Commission européenne. Dans une lettre officielle adressée la semaine dernière au Ministère italien des finances, celle-ci lui a demandé des précisions rapides sur la détérioration des comptes publics de la péninsule.
La dette publique italienne a atteint 132,2% de son produit intérieur brut (PIB) l'an dernier, et elle pourrait encore augmenter, à 133,7% cette année voire 135,2% en 2020 si aucune correction n'est apportée à cette trajectoire. Une confrontation annoncée avec Bruxelles, qui pourrait conduire l'exécutif communautaire à enclencher une procédure d'infraction contre la troisième économie de la zone euro.
Matteo Salvini au centre du jeu
Du côté politique, cet affrontement tourne autour d'un homme, Matteo Salvini, résolu à ne pas céder à ce qu'il estime être des «diktats» de la part de la Commission européenne. Le ministre de l'Intérieur a, comme argument politique massue pour son refus, sa récente victoire aux élections européennes du 26 mai, avec 34,3% des suffrages pour la Lega (la Ligue du Nord) contre 22,7% pour le parti démocrate (opposition de centre gauche, pro-européenne) et 17,6% seulement pour le Mouvement 5 étoiles, partenaire de la coalition gouvernementale. Pas question en revanche pour Bruxelles de fermer les yeux sur un potentiel déraillement de l'Italie qui, immanquablement, affolerait les marchés financiers et ferait resurgir le spectre d'une crise au sein de la zone euro.
Le pays est en effet largement hors des clous des règles du Pacte de stabilité et de croissance, compte tenu de son endettement public équivalent au double des 60% du PIB recommandés (la France est néanmoins proche des 100%), et un déficit bien plus élevé qu'attendu en 2018 (2,1% du PIB). La Commission estime même que ce déficit pourrait dépasser les 3,5% du PIB en 2020, si rien ne change. De quoi relancer l'inquiétude sur le financement de la dette souveraine italienne d'environ 2500 milliards d'euros, dont 70% sont détenus par les Italiens et les banques de la Péninsule, plombée par un ratio de créances douteuses supérieur à 10%.
Résultat: Giuseppe Conte et le ministre des Finances, l'économiste Giovanni Tria, se retrouvent dans le rôle de filet européen face au bulldozer Salvini. Le prochain budget «devra maintenir un équilibre des comptes car les règles européennes restent en vigueur
jusqu'à ce que nous ne réussissions à les changer», a justifié le président du Conseil qui a, par ailleurs, convié fermement sa coalition à en finir avec les dérapages. Il ne veut plus voir de selfies de ses ministres sur les réseaux sociaux, ne veut plus entendre les invectives entre ses deux adjoints et principaux actionnaires de la majorité gouvernementale, Matteo Salvini et Luigi Di Maio. Lors de sa conférence de presse de lundi soir aux allures de discours aux Italiens, le premier ministre a exhorté les chefs de la Ligue, à l'extrême droite, et de l'antisystème Mouvement 5 étoiles (M5S) à mettre un terme à une «campagne électorale permanente» empêchant «de travailler».
Giuseppe Conte se dit prêt à remettre son mandat
L'avocat propulsé au pouvoir il y a un an, garant d'un «contrat» stipulé par les deux premières forces politiques issues des élections législatives de mars 2018, a voulu rappeler qui était aux commandes. Posant ainsi un ultimatum sans date à ses deux vice-premiers ministres: ils sont appelés à «décider» si et comment poursuivre cette expérience inédite de gouvernement, sans quoi, Giuseppe Conte est prêt à remettre son mandat. Avec, pour la Commission européenne, la garantie de sérieux tourments et inquiétudes si une crise politique ouverte empêchait Rome de répondre aux questions de la Commission d'ici à ce jeudi 5 juin, date à laquelle des «recommandations» doivent être formulées.
La procédure concernant la dette italienne avait déjà été engagée par l'exécutif communautaire fin 2018, puis stoppée. Au vu du manque de confiance mutuel entre Bruxelles et Rome, et compte tenu des tensions à venir avec l'installation du nouveau Parlement européen où les souverainistes disposent d'environ un tiers des sièges, l'accalmie paraît peu probable.
Le dérapage budgétaire de Rome relance l’inquiétude sur le financement de la dette souveraine italienne de 2500 milliards d’euros