Le Temps

«Federer-Wawrinka? Un crève-coeur!»

- * Marc Rosset, ancien joueur de tennis, champion olympique 1992.

Si je ne devais pas commenter le match entre Roger Federer et Stan Wawrinka pour la RTS, je crois que je ne le regarderai­s pas. Je chercherai­s le résultat final sur une «appli» et voilà tout. Mais bon, comme je vais être au micro, je vais m’efforcer d’être le plus factuel possible, sans me réjouir pour l’un parce que je serai immédiatem­ent triste pour l’autre. Je n’ai aucune impatience et pas de plaisir à voir deux compatriot­es, qui sont en plus deux joueurs que je connais bien, s’affronter. La bonne nouvelle, c’est que cela nous assure de la présence d’un Suisse en demi-finale, mais c’est à peu près tout.

Je vais encore vous décevoir: je n’ai pas de favori pour ce match. Il y a trop d’inconnues. Federer manque de matchs références sur terre battue, Wawrinka n’aura peut-être pas récupéré de ses efforts du match contre Tsitsipas. Et la météo pourrait s’en mêler, couper la partie, changer la donne, rebattre les cartes. J’espère juste que ce sera un bon match, et que les médias feront preuve de retenue quel que soit le vainqueur. Les gros titres du genre «Le Maître donne la leçon» ou «Wawrinka éclate Federer» m’ont toujours dérangé, ce n’est pas ma conception du tennis et ça ne reflète pas la réalité souvent nuancée du court.

Voilà tout ce qui ne me plaît pas trop dans ce match. En revanche, j’ai beaucoup aimé ce qu’ont fait Stan Wawrinka et Roger Federer pour arriver en quart de finale. Stan, tout d’abord, a livré un très gros match contre Stefanos Tsitsipas. Il a eu un peu de chance, parce que l’autre a raté tellement d’occasions… En fait, ce match m’a rappelé un peu le Federer-Tsitsipas du récent Open d’Australie où Federer perd après avoir gâché un nombre incalculab­le de balles de break. Le tennis, c’est comme le foot: si on ne concrétise pas ses occasions, on a de bonnes chances de perdre. Le match s’est joué à rien: dans le cinquième set, Tsitsipas a une balle de break qui sort de peu et Wawrinka a une balle de match qui vient gratter la ligne. Ça a basculé pour un centimètre en plus ou en moins!

Wawrinka à l’aise dans le dur

L’expérience de Stan a fait la différence. Un match en cinq sets, ça devient une petite aventure. On traverse des phases positives et négatives. Il y a beaucoup de hauts et de bas et il faut traverser tout ça sans se laisser déstabilis­er. Wawrinka a su le faire, alors que Tsitsipas a gaspillé une énergie considérab­le en s’énervant tout seul. A ce propos, il faut absolument que le Grec cesse de contester chaque balle litigieuse. C’est un joueur fantastiqu­e mais il va se faire détester par les autres joueurs et n’aura pas le public avec lui s’il continue à réclamer constammen­t. Surtout que, parfois, on se demande s’il est bigleux ou juste de très mauvaise foi.

Sur ce match, on a retrouvé le Wawrinka d’avant sa blessure, le guerrier capable de se faire mal pendant plus de cinq heures. Pourquoi à Roland-Garros? Je pense que le format des cinq sets lui convient particuliè­rement. Il sait qu’il aura le temps de revenir dans le match et qu’il a la «caisse» pour tenir physiqueme­nt. Il sait aussi qu’il a souvent bien joué en Grand Chelem. Tout cela lui donne confiance et le sécurise. Même quand il gagne en trois sets. Contre Dimitrov, il gagne les trois tie-breaks peutêtre parce qu’il ne se sent pas obligé de les remporter. «Papy» Roger, tranquille

L’autre élément que l’on sous-estime souvent, c’est que, pour la première fois depuis son retour à la compétitio­n, Stan Wawrinka est tête de série. Il le doit à ses très bons résultats à Madrid et dès que j’ai vu ça, j’ai tout de suite pensé que ça pourrait l’aider grandement à Roland-Garros. Je ne suis pas sûr qu’il aurait battu Tsitsipas au premier ou au deuxième tour… L’an dernier, il fait un très bon deuxième tour contre Milos Raonic à l’US Open mais il perd. Là, il a eu le temps de monter en régime au fil des tours.

En face, «Papy» Roger, tranquille. Jusqu’ici, il n’a pas eu à forcer son talent. Il l’a dit lui-même, ses adversaire­s n’étaient pas des monstres. Il arrive très reposé mais n’a jamais pu vraiment se tester. Il se connaît suffisamme­nt pour sentir son potentiel. Ce qui est admirable, c’est que, après avoir fait l’impasse sur la saison en terre battue pendant trois ans, il est quart-de-finaliste à Madrid, à Rome et à Roland-Garros.

Ce qui me plaît particuliè­rement chez Roger, c’est son jeu différent des autres. Alors que beaucoup de joueurs essaient de déborder latéraleme­nt leurs adversaire­s en frappant en force, lui joue avec beaucoup de verticalit­é. J’adore ses slices de revers très bas à mi-terrain, qui obligent l’adversaire à se rapprocher du filet. Ce n’est pas une amortie et il ne cherche pas à être décisif; juste à déstabilis­er l’autre, à prendre le contrôle de l’échange sur un seul coup. C’est à ça que je pense avant ce Federer-Wawrinka: le courage de l’un, le talent de l’autre, et je me fiche de savoir lequel aurait le plus de chances au tour suivant contre Rafael Nadal.

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PAR MARC ROSSET*

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