L’île qui veut servir d’exemple à la planète
Au large de l’Afrique, sur l’île portugaise de Porto Santo, une expérience grandeur nature explore les voies de la mobilité du futur. L’occasion de tester les effets de la transition énergétique
A l’heure de la multiplication des marches pour le climat et de l’omniprésence du débat sur le réchauffement global, le plus endurci des amateurs de mécanique ne peut qu’acquiescer: l’avenir de la mobilité individuelle est à la transition énergétique. Mais la question demeure: quelle option choisir pour remplacer le diesel, voué aux gémonies depuis le Dieselgate, ou l’essence, trop polluante malgré les filtres à particules, pour trouver grâce aux yeux des édits de Bruxelles?
La réponse qui vient naturellement, au vu du battage médiatique actuel, c’est l’électricité. Mais que se passera-t-il lorsqu’on lancera sur la route toutes ces voitures électriques qui fleurissent dans les salons et les showrooms? Vont-elles avoir une autonomie suffisante? Pourra-t-on trouver un moyen de les recharger sans souci? Le réseau sera-t-il en mesure de faire face à ces nouveaux besoins? Va-t-on vers des «blackout» en série? Pourra-t-on fabriquer assez d’électricité, alors que l’on coupe le charbon et que l’on sort du nucléaire? Pour répondre à ces questions – et à bien d’autres – le meilleur moyen reste l’expérimentation. Moins aléatoire que les dissertations d’experts et plus fiable qu’une simulation par ordinateur, la véritable mise en perspective d’une flotte de véhicules dans un nouvel «écosystème» est une vraie mine d’informations.
Du soleil, du vent et des ambitions
C’est le but de l’expérience menée sur l’île portugaise de Porto Santo, voisine de Madère, sur laquelle Le Temps a été invité par les Entreprises électriques de Madère, Renault et The Mobility House. Là-bas, au large de la côte nordouest de l’Afrique, ces trois partenaires ont ouvert un «laboratoire grandeur nature». L’environnement est idéal: isolée de sa grande voisine comme du continent, Porto Santo n’a aucun moyen de subvenir à ses besoins énergétiques sans importer du continent des dérivés issus de l’énergie fossile. En clair: du fuel pour faire fonctionner les quatre moteurs diesels géants de son usine thermique, seuls capables de garantir l’autonomie électrique de l’île. Mais depuis peu, certains de ces diesels ont droit à des vacances ou, plutôt, à du chômage technique.
Comme la plupart des îles, Porto Santo est en permanence balayée par les vents. Et, au vu de sa situation géographique, le soleil n’y est pas une denrée rare. Solaire et éolienne: voilà deux énergies renouvelables capables de résoudre une partie du problème. 15%, pour l’instant. Mais les initiateurs du projet visent les 50% bientôt. Et, après une visite de leurs installations, on constate que l’objectif n’a rien d’extravagant. C’est que Porto Santo a tout pour bien faire. D’abord son réseau, fermé, est facile à contrôler. Ça, c’est la tâche de The Mobility House qui, via son application, aide les EEM à garder stable (aux environs de 50 Hz) le réseau local. Mais le logiciel fait bien mieux: en analysant en temps réel l’état de la production d’énergie renouvelable en fonction des conditions de vent et d’ensoleillement, il ajuste la puissance du diesel à l’entrée d’énergie verte pour assurer constance et stabilité du courant.
C’est bien, mais pas optimal: en cas de pic de production, l’énergie renouvelable est simplement… perdue. C’est là qu’intervient Renault. De deux façons. D’abord, il a fourni des batteries de véhicules électriques de seconde main. Transformées en «unités de stockage» elles sont capables, alors même qu’elles sont devenues trop justes au niveau charge résiduelle pour être utilisées à bord de véhicules, de stocker les surplus d’électricité «verte» qui pourront être «réinjectés» dans le réseau au moment où la demande atteint son point maximal. Ensuite, parce qu’il a engagé dans le projet un véhicule révolutionnaire: le premier à pouvoir effectuer une charge bidirectionnelle en courant alternatif. Clairement dit: cette ZOE de nouvelle génération est capable, au besoin, de se transformer en «centrale électrique mobile».
De simple véhicule rechargeable, la voiture se transforme en composant actif, capable de consommer ou de stocker l’énergie
L’avantage est colossal: non seulement on peut choisir de recharger son véhicule électrique au moment où l’énergie renouvelable est présente en grande quantité, mais on peut également stocker les surplus de production dans la batterie des voitures pour mieux les réinjecter dans le réseau ensuite, au moment du pic de demande, quand on allume le soir où qu’on utilise les cuisinières.
De simple véhicule rechargeable, la voiture se transforme en composant actif, capable de consommer ou de stocker l’énergie, de servir de batterie d’appoint et même d’aider à stabiliser et réguler l’ensemble du réseau devenu ainsi intelligent. Ce qui répond à l’une des deux principales inconnues d’une éventuelle bascule du thermique vers l’électrique: oui, ainsi équipé, le réseau électrique actuel sera en mesure de faire face à l’accroissement de la demande sans entraîner de «blackout» massifs. Ce qui permet, aussi, de rassurer un peu quant au recyclage des batteries. Les spécialistes rencontrés sur Porto Santo sont formels: au bénéfice de 70% de leur capacité initiale, les batteries de seconde main peuvent servir de stockage statique de façon efficace pendant une bonne dizaine d’années supplémentaires, vu qu’elles sont entreposées dans des endroits à température régulée et soumises à des décharges/recharges strictement contrôlées.
▅