Le Temps

Federer contre Wawrinka, chronique d’un combat de titans à Roland-Garros

Roger Federer se qualifie pour les demi-finales de Roland-Garros en dominant Stan Wawrinka (7-6 4-6 7-6 6-4) au terme d’un match éprouvant. A 37 ans, le Bâlois s’offre le défi ultime: rejouer Rafael Nadal sur terre battue

- LAURENT FAVRE, PARIS @LaurentFav­re

C’est l’histoire d’un orage qui n’est pas venu. Ou trop tard. On attendait une pluie d’amorties, une grêle de coups gagnants, un déluge de montées au filet et de passings de revers. Il n’y eut longtemps que la touffeur d’une après-midi d’été, la lourdeur de l’air et, dans l’atmosphère, le poids d’une gêne presque palpable. Longtemps, trop longtemps, les émotions pesèrent comme un couvercle sur le court Suzanne-Lenglen et les épaules de Roger Federer et Stan Wawrinka.

Pour ce quart de finale 100% helvétique, remake de celui de 2015, à ce même stade et sur le même court, les deux Suisses étaient très attendus. L’un plus que l’autre. A son entrée sur le court, Stan Wawrinka eut droit à une belle ovation, Roger Federer à de folles acclamatio­ns. Le Vaudois accueillit le verdict populaire avec un petit sourire fataliste. Lui qui n’aime rien tant que capter l’énergie du public, et qui sait si bien le rallier à sa cause, savait qu’il perdait d’emblée un précieux soutien. En face, Federer apparaissa­it étonnammen­t crispé par l’enjeu: une demi-finale à Roland-Garros, pour la première fois depuis 2012.

Des solistes pas toujours bien accordés

Wawrinka et Federer ont livré chacun une très bonne prestation, mais cela ne donna que rarement un bon match, parce que leurs temps forts ne s’accordèren­t guère. Ils jouaient bien, mais pas au même moment et pas ensemble, sauf à partir du milieu du troisième set, lorsqu’ils se ravirent alternativ­ement leur service, puis que se succédèren­t balles de set (5) et balles de break. Ce fut l’un des très rares moments où ils jouèrent totalement libérés. «C’était dur, vraiment dur», dira Roger Federer.

Il fallait un vainqueur et ce fut lui. La légende encore vivante du tennis l’emporta 7-6 4-6 7-6 6-4, au bout de 3h35 d’un match interrompu durant une quarantain­e de minutes par l’orage (enfin!) à 3-3 dans la quatrième manche. Le vétéran bâlois (37 ans) affrontera vendredi en demi-finale Rafael Nadal, onze fois vainqueur de l’épreuve, dont quatre fois face à Federer (2006, 2007, 2008 et 2011). Nadal n’a eu aucun mal à se débarrasse­r du Japonais Kei Nishikori, expédié en trois sets (6-1 6-1 6-4). Deux jours de repos complet ne seront pas de trop pour se préparer à défier le phénix de la porte d’Auteuil, impression­nant depuis le début de la quinzaine après un début de saison très moyen sur sa surface préférée. «Mon prochain adversaire, il est correct, il sait jouer sur terre battue», s’amusa Roger Federer dans son discours d’après-match. Plus sérieux, un peu ému, il ajouta: «Si je suis revenu à Roland-Garros, c’est peut-être aussi pour pouvoir y rejouer une fois «Rafa». Voilà, j’ai mon match.»

Celui face à Stan Wawrinka en était un autre, tout aussi symbolique («pour les moments difficiles que nous avons tous les deux vécus récemment», résume Roger Federer), mais les symboles sont parfois lourds à porter. Marc Rosset avait raison: ce match entre compatriot­es était peut-être une fausse bonne idée. Le speaker du stade prolongea la méprise en les présentant comme un duo: «Ils ont gagné ensemble une médaille d’or olympique en 2008 et le Saladier d’argent en 2014!» Oui, mais le tennis reste un sport individuel, et le terme même de «simple messieurs» dit bien que l’heure n’est pas au partage. Il y a toujours deux ambitions opposées et deux destins, dont l’un sera contrarié.

Les deux joueurs mirent bien deux heures à entrer dans le match. Les points défilaient pourtant, et les jeux avec. Mais à 3-2 Wawrinka après quatorze minutes de match, il n’y avait toujours pas eu le moindre échange véritable. Aux gros services de Wawrinka répondaien­t les contrepied­s de Federer. Tout n’était pas aussi réussi. Stan Wawrinka aligna les doubles fautes au service (7) et les fautes directes (61), tandis que Roger Federer semblait revivre son cauchemar de Melbourne face à Stefanos Tsitsipas en ne concrétisa­nt que 11% de ses balles de break (2/28). «Faut que j’me calme!» se hurla Wawrinka à 4-4. Federer, lui, s’agaça dans le deuxième set sur un service trop long non signalé par une juge de ligne. «Hé, la juge de ligne, ça va ou quoi?» lança-t-il, oubliant pour le coup son flegme. Cette entorse à ses bonnes manières disait bien la frustratio­n du Bâlois, breaké sur la seule opportunit­é laissée à son adversaire. Peu après, il perdait la deuxième manche (6-4), pour la première fois du tournoi. Federer nerveux comme un débutant

Mais il avait gagné la première et la troisième au tie-break, confirmant à chaque fois sa légère domination dans le jeu. Wawrinka, qui avait remporté jusqu’ici quatre tie-breaks sur quatre, céda deux fois. Que pouvait-il se reprocher? Pas grandchose: Federer sut souvent le tenir à distance avec des seconds services très longs, «giclant» à hauteur de visage, l’empêchant de développer sa puissance en retour.

L’interrupti­on, à 3-3 dans la quatrième manche, service Wawrinka à suivre, pouvait profiter à l’un comme à l’autre. La partie reprenait à 18h42. Le ciel était lavé, l’air purifié. C’était comme si l’abcès était crevé. A 4-4, Roger Federer obtint deux balles de break. Il frappa fort son revers dans le milieu du filet sur la première mais osa un peu plus sur la seconde et poussa Wawrinka à la faute. Il ne restait plus à Federer qu’à aller s’asseoir à 5-4, de rassembler ses esprits, et de servir pour le match. Même avec vingt titres du Grand Chelem (et 43 présences en demi-finale!), ce n’était pas une formalité.

Très tendu, le Bâlois méjugea une balle qu’il crut dehors, commit sa première double faute du set et se retrouva mené 15-30. Il gagna le point suivant en flirtant avec les lignes, réussit enfin un superbe enchaîneme­nt (attaque profonde en coup droit volée décroisée) et obtint une première balle de match. Wawrinka la repoussa et se procura une balle de break. Federer retourna à nouveau la situation, lâcha une nouvelle double faute, puis s’abandonna au service-volée pour éviter de gamberger. «J’ai raté tous les services dans les derniers jeux, aussi parce que la qualité de Stan m’obligeait à prendre des risques», reconnut-il. Une dernière attaque, une volée appliquée et il pouvait enfin lever les bras, tempérant sa joie par respect pour son adversaire. Wawrinka déçu en bien

«C’est bon d’être de retour en demi-finale», souligna Roger Federer, dont la dernière présence à ce stade remontait à l’Open d’Australie 2018. Il n’a plus battu Rafael Nadal sur terre battue depuis 2009 (à Madrid et à Hambourg), mais ne s’en formalise guère. «D’abord parce qu’en sport, il y a toujours une chance. On ne sait jamais ce qui peut se passer. Ensuite parce que si l’on joue sur terre battue, il y a de très fortes chances de rencontrer Nadal à un moment ou à un autre. Etre face à lui, cela veut d’abord dire qu’on a atteint un très bon niveau.»

De son côté, Stan Wawrinka n’eut pas de peine à montrer plus de satisfacti­on que de déception. «C’était un bon match, mais je peux jouer mieux que ça et Roger aussi. Je suis heureux de mon parcours ici et d’avoir tenu physiqueme­nt après le plus long match de ma carrière [contre Tsitsipas, 5h09]. Je vais aussi revenir dans le top 20. Le match se joue sur quelques points mais j’ai eu peu d’opportunit­és, je n’ai jamais vraiment pu faire la course en tête. La seule fois où je breake dans le troisième set, il recolle aussitôt. Il a été un peu meilleur que moi quand c’était important.»

Roger Federer félicité par Stan Wawrinka. «C’était un bon match, mais je peux jouer mieux que ça et Roger aussi», dira le Vaudois.

«Si je suis revenu à Roland-Garros, c’est peut-être aussi pour pouvoir y rejouer une fois «Rafa». Voilà, j’ai mon match» ROGER FEDERER

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(BENOIT TESSIER/REUTERS)

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