Avant la saison 5, rencontre avec les créateurs de «Black Mirror»
La série la plus critique de notre modernité revient ce mercredi avec trois épisodes. Son créateur, Charlie Brooker, et sa productrice Annabel Jones racontent leur petite entreprise à glaçantes extrapolations contemporaines
Le secret a été bien gardé. Jusqu’ici, le seul indice qui avait fuité de la cinquième saison de Black Mirror était la présence au générique d’un épisode de Miley Cyrus, aux côtés de plusieurs acteurs américains – ce qui laisse penser que l’abordage des Etats-Unis, après des premiers pas dans la quatrième fournée, se confirmerait. Puis, il y a peu, Netflix a indiqué que la série de science-fiction la plus pertinente du moment revenait ce mercredi, pour trois épisodes.
Depuis le traumatisant premier chapitre en 2011, où le premier ministre britannique est victime d’un chantage odieux, Black Mirror s’est imposée comme le reflet le plus sombre, évidemment, de nos modernités. Amours contrôlées, domination des réseaux et des pressions sociales, chantages numériques: l’anthologie brasse les travers contemporains avec une acuité cruelle. «Mais nos histoires sont moins politiques qu’elles n’en ont l’air», assure Charlie Brooker, le créateur. «Certains disent que Black
Mirror est anti-technologie, mais ce n’est pas vrai. J’adore les gadgets, j’aime les manettes de jeu qui vibrent» (il rit).
De l’humiliation en politique
Charlie Brooker et sa productrice Annabel Jones, avec laquelle il forme un tandem pétaradant, s’exprimaient récemment au festival Séries Mania à Lille, lors de deux interventions. Ils sont revenus brièvement sur le dernier épisode en date, l’interactif Bandersnatch
(«une expérience, mais l’interactif ne va pas remplacer la fiction classique»). Puis, pour revenir à la politique, l’ancien journaliste a raconté: «Des amis m’ont glissé un jour: «Tu devrais te présenter en politique.» Je leur ai répondu qu’il ne fallait jamais voter pour des acteurs ou des auteurs, car ce sont les pires. Cela a inspiré The Waldo Moment», épisode sur la campagne électorale d’un doubleur de nounours télévisuels qui devient un candidat racoleur. «Après, Donald Trump et les populistes sont arrivés. Je ne pensais pas à cela en particulier, j’imagine que c’était dans l’air…»
National Anthem, le glaçant premier chapitre, vient aussi d’une anecdote. Gordon Brown, premier ministre britannique d’alors, avait dû s’excuser après la diffusion de propos qu’il croyait tenir micro coupé à propos d’une femme qui l’avait contredit. «L’humiliation de Gordon Brown m’a donné l’idée de l’épisode, que je concevais comme une parodie de 24 Heures chrono.»
Le sens des testicules de kangourou
Annabel Jones, elle, parle de «testicules de kangourou. C’est ce qu’ont dû ingérer des candidats de Je suis une célébrité, sortez-moi de là. En voyant cela, je me suis dit que la TV devenait extrême, c’est Cannibal Holocaust» – film d’horreur de 1980 qui constituait d’abord une critique du voyeurisme télévisuel.
Quelques lignes viennent de s’écouler, et voici déjà trois références à de la téléréalité et à des fictions. En écoutant le scénariste et la productrice, on mesure à quel point ils se nourrissent de pop culture pour fabriquer leurs propres satires et extrapolations.
Quand il raconte la genèse de White
Bear (une femme amnésique se retrouve traquée par des gens la menaçant de leurs téléphones portables), Charlie Brooker mentionne «Kadhafi. Je voyais à la TV ce corps exposé, et les gens qui prenaient des photos avec leurs téléphones. C’était Day of the Dead, comme une histoire de zombies, mais avec des gens qui tendent leurs téléphones.» Tous deux mentionnent d’ailleurs leur goût pour le cinéma d’épouvante, «surtout les morts-vivants», précise Annabel Jones.
Une formule qui profite de son mode de diffusion
Au fil des années, et avec la reprise par Netflix de cette anthologie commencée chez Channel 4, les deux concepteurs se sont inventé une méthode. Face à un parterre de professionnels et devant Ted Sarandos, chef du contenu chez Netflix, le scénariste confirme: «Le format de l’anthologie se prête bien aux plateformes en ligne. Nous n’avons pas besoin de cliffhangers. Les gens peuvent voir les épisodes en les choisissant comme ils le souhaitent.» La productrice ajoute: «Nous avons plus de libertés avec une plateforme. Voyez
Metalhead [une poursuite par un chien robot dans un futur post-apocalyptique], 40 minutes en noir-blanc. Nous n’aurions jamais pu le faire sur une chaîne.»
Le tandem a essayé d’ouvrir sa salle des auteurs. «Nous attirons des conspirationnistes et des gens vraiment trop sérieux», sourit Annabel Jones. «Et les délais sont toujours courts, il est parfois plus simple de travailler ensemble.»
Mécanique d’une critique du monde, qui, même si les saisons ont un nombre variable d’épisodes, ne va pas s’interrompre, assure le duo. Elle dit: «Nous continuerons jusqu’à ce que les gens cessent de regarder»; il relance: «Même au-delà. Jusqu’à ce qu’ils essaient physiquement de nous arrêter.»