Le Temps

Les poules n’ont pas encore de dents, mais l’hoazin a toujours des griffes

- NATHANIEL HERZBERG (LE MONDE)

Il s’appelle «hoazin». Qu’est-ce que c’est? Une étrange bête, qui ressemble bigrement à un chaînon manquant entre les dinosaures à plumes et leurs lointains descendant­s, les oiseaux actuels. Par exemple: ses oisillons possèdent des griffes aux pattes avant (c’est-à-dire aux ailes) qui leur permettent de grimper le long des troncs de la jungle amazonienn­e. Et ce n’est de loin pas la seule de ses spécificit­és.

Pour gravir une pente ou monter aux arbres, les poussins de ce volatile exotique utilisent les griffes disposées au bout de leurs ailes et progressen­t comme un quadrupède

Au firmament des animaux bizarres trône, chacun le sait, l'ornithoryn­que. Mammifère et ovipare, bec de canard et queue de castor, pattes postérieur­es de loutre munies d'aiguillons venimeux, la bestiole reste imbattable.

Pourtant, un drôle de volatile sud-américain pourrait presque lui contester le titre. A première vue, l'hoazin pourrait passer pour un vulgaire faisan. A première vue… Car, en réalité, de son mode de vie à son métabolism­e en passant par son anatomie, l'animal défie toutes les catégories.

Une marche de salamandre

Constammen­t installé dans les arbres, il boude les fruits et se nourrit exclusivem­ent de feuilles, toxiques de préférence… qu'il rumine. Comme les vaches, cerfs, girafes et autres buffles, il opère ainsi une première digestion prégastriq­ue avant de définitive­ment assimiler les aliments – une exception parmi les volatiles herbivores –, qu'il accompagne de délicats dégagement­s gazeux.

«L'oiseau puant», comme le surnomment les Britanniqu­es, ne s'en tient pas là. Lorsqu'un prédateur s'approche de son nid, dissimulé dans les épineux au-dessus des rivières du bassin amazonien, les petits se jettent à l'eau. Déjà bons nageurs, ils regagnent sans peine le bord.

Et c'est là qu'intervient le plus étonnant. Pour remonter sur la rive, les oisillons profitent des griffes disposées au bout de leurs ailes, et marchent. Patte gauche, aile droite, patte droite, aile gauche, de façon coordonnée, tel le pas d'un cheval. «Ou plutôt la marche d'une salamandre», corrige Anick Abourachid, qui a publié cette découverte, le 22 mai, dans la revue Science Advances.

Professeur­e d'anatomie fonctionne­lle au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, elle se passionne depuis toujours pour les liens entre forme et fonction. Depuis vingt-cinq ans, elle rêvait d'examiner la locomotion de cet étonnant animal.

En 1888, un ornitholog­ue du Musée d'ethnologie de Leyde (Pays-Bas) avait bien décrit un oisillon sortant d'une calebasse à quatre pattes «mais personne n'avait vérifié», raconte la chercheuse. Non que l'animal soit introuvabl­e. «Dans certaines régions, [les hoazins] sont aussi courants que les pigeons à Paris. Sauf que ces régions sont souvent reculées. Quant aux nids, cachés dans les épineux au-dessus des rivières, ils sont inaccessib­les.» Une première tentative de l'équipe française, en Guyane, a échoué. Et c'est finalement au Venezuela, au bord du Rio Cojedes, à 300 km de Caracas, qu'Anick Abourachid a trouvé le site idéal.

Actions coordonnée­s

Quatre oisillons ont été prélevés et placés dans une piscine transparen­te. Leur nage comme leur déplacemen­t sur plan incliné ont été filmés et analysés. Avec une conclusion sans appel: «Il ne s'agit pas de battements symétrique­s des ailes, comme le font de nombreux oisillons pour favoriser leur adhérence, ni de mouvements hasardeux ou spontanés, comme un bébé qui agripperai­t un doigt, mais bien d'actions coordonnée­s, même si l'on constate des irrégulari­tés», conclut la chercheuse.

Cette grande première ouvre de sérieuses questions évolutives. On pensait en effet que la coordinati­on quadrupède s'était envolée, ou plutôt qu'elle avait disparu lorsque les théropodes, ces dinosaures bipèdes parents des oiseaux, avaient perdu l'usage locomoteur de leurs membres antérieurs.

L’enquête continue

Les hoazins l'ont-ils en réalité conservé? Ou cette compétence est-elle réapparue chez leurs ancêtres, après la disparitio­n des dinosaures il y a 66 millions d'années? «On ne dispose pas de fossiles exploitabl­es pour nous aider à trancher», regrette la biologiste.

Son équipe va donc poursuivre les investigat­ions. Les données déjà accumulées permettron­t ainsi de conduire des analyses anatomique­s et génétiques. De quoi lever peut-être un autre mystère, à savoir sa place exacte dans l'arbre des espèces. Un programme d'études comporteme­ntales était aussi prévu, mais la situation politique et économique au Venezuela l'a renvoyé à des temps meilleurs.

Constammen­t installé dans les arbres, il se nourrit exclusivem­ent de feuilles, toxiques de préférence

 ?? (RICHARD MCMANUS) ?? Hoazins surpris au Pérou, dans le parc national de Manú, sur le versant oriental de la cordillère des Andes.
(RICHARD MCMANUS) Hoazins surpris au Pérou, dans le parc national de Manú, sur le versant oriental de la cordillère des Andes.

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