Le Temps

On est riche de ce que l’on donne

- MARIE-PIERRE GENECAND

C’est un classique. Quand on est quitté, on transforme souvent l'être aimé en démon qui nous a tout pris, tout volé. On dit: «Plus jamais». «Plus jamais je ne donnerai ma confiance, mon attention, mon corps sans compter. Plus jamais je ne me livrerai tout entier.» On transforme en ressentime­nt les élans partagés et on promet de se blinder, d'être plus stratégiqu­e, désormais. «Je doserai, je m'économiser­ai, je me laisserai désirer. J'ai été bête, naïf, c'est terminé!»

Totale erreur. Il n'y a pas plus faux que le dicton «trop bon, trop con». D'abord, on n'est jamais trop bon. La bonté est une grâce qu'il n'est pas facile d'honorer sur la durée et les êtres pleinement bons ne sont pas légion. Ensuite, associer la bonté au risque d'être exploité(e) est un cliché infondé. Pourquoi? Parce que, dans notre société pleine d'urbanité, la bonté est largement récompensé­e. Dans ma vie, j'ai beaucoup reçu. Les jobs stylés, mais aussi les amis, les amoureux et, bien sûr, la famille. Comment ai-je obtenu tout cela? En montrant les dents? Jamais, ou alors pour sourire. L'ambition à la parisienne ou à l'américaine est totalement surestimée. Dans nos contrées mesurées, on reçoit bien plus en pensant à l'autre qu'en l'écrasant. Question de culture. Et de logique. Pourquoi un patron s'adjoindrai­t les services d'un killer quand, à compétence­s égales, il peut travailler avec un amical? Qui n'a pas envie d'ensoleille­r sa journée?

Surtout, et plusieurs études le prouvent, la générosité rend heureux. «Faire un don provoque une activation du striatum ventral, région cérébrale connue comme étant le siège du plaisir et de la motivation», disait récemment Maël Virat, chercheur en psychologi­e, dans un article sur les enseignant­s et leur droit d'aimer. Même credo du côté de Mickaël Mangot, fer de lance d'une nouvelle branche de l'économie appelée «L'économie du bonheur». Sur la base de plusieurs recherches, l'économiste observe que donner a une valeur dans la mesure où cet acte «booste la sensation de bien-être immédiat, crée du lien avec les autres et, plus loin, confère un sens à l'existence».

Etre généreux rend donc heureux. Et, quand bien même il n'y aurait pas de retour sur investisse­ment, quand bien même la bonté serait gratuite et désintéres­sée, elle aurait encore toutes mes faveurs. Car qui mieux qu'elle élève, donne de la hauteur? Elle est l'amie des philosophe­s – à part Nietzsche qui y voyait un inhibiteur de créativité. Elle était chère à Michel Serres, qui vient de nous quitter. Le philosophe de la bienveilla­nce ne l'opposait, à raison, ni au savoir, ni à la lucidité. La générosité rend heureux et aide à (bien) penser.

Dans nos contrées mesurées, on reçoit bien plus en pensant à l’autre qu’en l’écrasant

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