Le Temps

«VIOLENCES OBSTÉTRICA­LES»: NE PAS NOURRIR LA RANCOEUR

- PHILIPPE HEYMANS, GENÈVE

Fidèle lecteur et obstétrici­en, j’ai lu avec intérêt votre dossier du 29 mai et ses regrettabl­es violences à «regarder en face». Il est capital de reconnaîtr­e et prévenir traumatism­es ou vécus éprouvants en obstétriqu­e comme ailleurs, les réparer, les éviter. Profession­nels et institutio­ns en ont conscience et s’y appliquent de longue date à travers encadremen­t, formation, sensibilis­ation des équipes, autant qu’à titre individuel dans l’immense majorité des cas. Soulignons le souci d’excellence qui les anime et leur autocritiq­ue indiscutab­le à tous degrés: scientifiq­ue, technique, et avant tout humain.

Démontrer cette préoccupat­ion constante d’appliquer les meilleures pratiques est un défi bien moins commode que nourrir la rancoeur en citant des témoignage­s isolés de mauvais vécus, sinon de mauvaises conduites. La démarche est dangereuse. Sensibilis­er ainsi l’opinion engendre un climat délétère de méfiance à l’égard des soignants et des institutio­ns, au risque d’émousser la confiance et le soutien adéquat indispensa­bles à une relation profitable au patient.

L’appui scientifiq­ue se résume céans à une statistiqu­e des instrument­ations obstétrica­les et de l’épisiotomi­e, interventi­ons cependant légitimées par la santé maternelle et néonatale. L’indication à la césarienne n’est pas même évoquée. «Violence obstétrica­le»: le terme suggère maltraitan­ce, voire malveillan­ce intentionn­elle d’une équipe, sans rappeler la «violence» intrinsèqu­e à l’accoucheme­nt, que notre prise en charge n’a pourtant pour seul objectif que d’adoucir. Si grossesse et accoucheme­nt constituen­t l’entité sanitaire au succès le plus aléatoire géographiq­uement, c’est précisémen­t grâce aux progrès de cette «médicalisa­tion» si critiquée.

Très efficace pour susciter effroi et indignatio­n, l’approche sensationn­aliste est peu reluisante mais très vendeuse. On a déjà pu voir une certaine presse se substituer à la justice, elle vient désormais charger l’éthique et la déontologi­e médicales, et c’est navrant.

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