Le Temps

Changeons le système, pas le climat

- CLAUDE CALAME DIRECTEUR D’ÉTUDES, EHESS, PARIS, PROF. HON. UNIL

«La transition écologique: le temps de l'action»: 100 personnali­tés de Suisse romande étaient réunies début mai au Forum des 100 marqué par la présence d'un certain nombre de «décideurs» et par la publicatio­n d'un numéro spécial du Temps intitulé: «Terre brûlée». Mais pourquoi cette sensibilit­é récente à l'écologie avec une focalisati­on sur le climat qui incendiera­it la terre? Et pourquoi cette centaine de plaidoyers et d'engagement­s, selon différente­s modalités, pour un «développem­ent durable»?

Certes, depuis une bonne vingtaine d'années, les températur­es aussi bien estivales qu'annuelles sont en forte hausse. Selon les mesures globales fournies par le Service du changement climatique du programme Copernicus (ECMWF) et confirmées par l'Organisati­on météorolog­ique mondiale (OMM), les quatre dernières années ont été à la suite les années les plus chaudes dans le monde depuis la fin du XIXe siècle: de 1880 à 2018, la températur­e annuelle moyenne à la surface du globe est passée de 13,40 à 14,80. Mais le réchauffem­ent climatique n'est pas le seul en cause. Les constats quant à la dégradatio­n de notre environnem­ent s'accumulent: chute drastique de la qualité de l'air en particulie­r en milieu urbain, déforestat­ion et appauvriss­ement des sols, pollution des océans par un plastique que l'on retrouve dans la chaîne alimentair­e, pollution de l'air et des eaux par les hydrocarbu­res, forte réduction de la biodiversi­té, etc.

Longtemps contestée, l'influence des activités humaines sur les différente­s atteintes subies par notre milieu de vie n'est plus remise en cause. Mais quelles activités? Que l'on désigne ou non ce moment comme le début de l'«anthropocè­ne», il ne fait point de doute que le tournant décisif a été pris en Europe à l'aube du XIXe siècle. Déterminan­ts ont été le développem­ent et l'usage étendu des techniques à l'égard d'un milieu qu'à partir de Descartes on a objectivé en nature. Fondé sur la propriété privée des moyens de production, le capitalism­e n'a pas manqué de s'approprier les incontesta­bles bénéfices matériels et sociaux de l'industrial­isation; il les a soumis à sa loi, celle de la marchandis­ation des activités humaines et de ses produits pour la maximisati­on des profits financiers qu'il est possible d'en tirer.

De plus, à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, les Accords de Bretton Woods en particulie­r ont permis d'asseoir l'idéologie de l'économie (néo-)libérale comme principe de la vie en société. Par la focalisati­on sur une croissance dont les critères de mesure sont uniquement économique­s et financiers, par l'institutio­n en dogmes de la compétitiv­ité et de la concurrenc­e «libre et non faussée», le pouvoir est passé dans les mains de grandes entreprise­s multinatio­nales, fondées sur un capitalism­e libéré de tout contrôle politique et démocratiq­ue.

Désormais placé sous le signe de l'innovation et de l'obsolescen­ce programmée, ce productivi­sme d'ordre néocolonia­l va de pair avec une consommati­on sans cesse sollicitée par une publicité agressive et omniprésen­te. En plus des conséquenc­es écologique­s qui frappent avant tout les plus pauvres, le système contribue à creuser les inégalités: inégalités et discrimina­tions sociales entre les individus, inégalités entre les pays détenteurs du capital et les pays dont on exploite le milieu et la force de travail tout en rapatriant les bénéfices dans de richissime­s paradis fiscaux telle la Suisse.

C'est dire qu'environnem­entale, la crise est aussi sociale et politique. Y répondra-t-on par la décroissan­ce? Ce serait faire fi des besoins matériels, ne serait-ce que du point de vue alimentair­e, des plus pauvres. Ou par le développem­ent durable? Ce serait ignorer les principes économique­s et financiers qui fondent le mode de vie consommato­ire que nous sommes parvenus à imposer à l'ensemble du monde, à notre profit. Ou en donnant à la Terre des droits qu'elle aurait à défendre? Ce serait instituer en personne un environnem­ent qui ne saurait prendre la parole.

S'impose donc la réappropri­ation par les communauté­s humaines de l'environnem­ent avec lequel elles interagiss­ent. Nous façonnons notre milieu de même qu'il nous façonne: les perméabili­tés sont nombreuses; il s'agit de les maîtriser dans la perspectiv­e que l'on peut proposer en termes écosociali­stes. Banques alternativ­es, coopérativ­es, économie sociale et solidaire, associatio­ns citoyennes, les alternativ­es existent: «Changeons le système, pas le climat»!

S’impose donc la réappropri­ation par les communauté­s humaines de l’environnem­ent avec lequel elles interagiss­ent

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