L’engagement responsable d’un journaliste
Jean-Marie Vodoz, ancien rédacteur en chef du quotidien vaudois «24 heures» (1977-1995) et président d’honneur de l’Union internationale de la presse francophone, est décédé le 2 juin à l’âge de 89 ans
Etre journaliste fut pour Jean-Marie Vodoz une vraie vocation, un engagement responsable, comme disait Denis de Rougemont. Il s’y adonna entièrement.
Après des études de droit à Lausanne, Jean-Marie apprit son métier à Paris dans une école vraiment formatrice. Il venait, seul, voir notre père une fois par an à La Tour-de-Peilz lors de la rencontre annuelle de la très ancienne société des Mousquetaires, fondée en 1574, et réservée aux hommes des familles bourgeoises de La Tour-de-Peilz; c’était autour de la Pentecôte, je crois, et nous les enfants, nous aimions voir arriver ce grand cousin, toujours habillé de velours noir, la pipe au bec, élégant et grand causeur, qui nous épatait en nous racontant Paris, ses rencontres et son travail. Profondément libérales et de l’Eglise libre, nos familles étaient abonnées à la Gazette de Lausanne et en vivaient; j’ai donc commencé à la lire très tôt, sans bien la comprendre, mais je sus très vite ce qu’il faisait et aimait faire.
Quelques années plus tard, je m’installai avec ma propre famille à Chailly, non loin du chemin des Sorbiers où ils vivaient: grande maison, grand jardin où faire des cabanes dans les arbres. Là nous nous vîmes beaucoup, les pères et les mères, les enfants aussi fortifiant des liens, des connivences, des complicités; les conversations, parfois houleuses, portaient aussi bien sur les événements intimes que sur le monde politique, qui le passionnait; la langue, la diction, la justesse dans le métier d’écrire, la lecture, la littérature (mais peu la poésie) le retenaient tout autant; nos sujets étaient très variés: l’invention de Taizé, les péripéties de la Tchécoslovaquie après l’invasion russe, la présence en Suisse romande de dissidents tchèques que nous connaissions, plus Prague, ses films et ses écrivains, mais aussi l’Europe, surtout l’Europe de l’Est. L’une de ses grandes préoccupations tournait aussi autour du comment écrire dans un journal à la fois local et global, comment ouvrir sans idéaliser, comment inquiéter sans exagérer, comment rester «à hauteur d’homme», selon une expression propre à notre époque.
Nos vies s’espacèrent et se transformèrent. Mais nous nous sommes retrouvés Jean-Marie et moi, dans nos années de retraite, à reparler des livres, de nos livres, gardés, oubliés, perdus; lui s’était mis à relire sa bibliothèque, avec méthode et continuité, et il y trouvait plaisir et étonnement. Sa grande bibliothèque avait finalement été classée par ordre alphabétique, grâce à de douces mains féminines, fille ou nièce, et sa bibliothèque intérieure, elle, restait vivante, ouverte à l’humour et au burlesque, propre aussi à la méditation et à la réflexion car en fait c’est les essais qu’il préférait parce que le monde en était changé. En essayiste dynamique, c’est là pour lui qu’était le sens profond du journal comme du journaliste.
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