La vérité sur l’affaire Mt. Gox
Alors que la justice japonaise n’en a pas fini avec la disparition de 500 millions de dollars en bitcoins en 2014, l’ouvrage «J’ai vendu mon âme en bitcoins» apporte la réponse à l’une des plus grandes énigmes du monde des cryptomonnaies
Le mystère est resté entier pendant cinq ans. Où sont passés les 500 millions de dollars en bitcoins disparus des caisses de Mt. Gox, la plus grande plateforme d’échange de bitcoins du monde, en 2014? Ontils été volés par un pirate numérique du dark web? Ou par un robot? Ont-ils été détournés par le jeune patron de Mt. Gox, Mark Karpelès? Ou les a-t-il égarés? Sorti ce printemps en français, J’ai vendu
mon âme en bitcoins apporte les réponses, après une minutieuse enquête de deux journalistes installés au Japon, l’Américain Jake Adelstein et la Lausannoise Nathalie-Kyoko Stucky.
«Il était enrobé, pâle, avec les cheveux longs et ondulés. On aurait dit qu’on lui avait collé le nez au milieu du visage alors que le cartilage était encore mou». C’est ainsi qu’est décrit Mark Karpelès, le suspect numéro un aux yeux de la police japonaise. Ce geek français installé à Tokyo avec chat et ordinateurs est accusé d’avoir détourné 650000 bitcoins qui étaient déposés auprès de son entreprise, Mt. Gox. En s’intéressant à cette affaire qui explosa début 2014, Jake Adelstein ramène le lecteur dans le monde naissant du bitcoin, à une époque où les cryptomonnaies et la blockchain n’étaient pas très connues du grand public.
Sur les traces de Satoshi Nakamoto
L’investigation du journaliste américain – le seul Occidental à avoir été recruté par le premier quotidien japonais, Asahi Shinbun – le conduit d’abord sur les traces de Satoshi Nakamoto (le pseudonyme utilisé par le ou les créateurs du bitcoin) et dans les profondeurs du dark web, une partie cachée d’internet où pouvait s’acheter à peu près tout ce qui est illégal en échange de bitcoins. Des bitcoins qui étaient alors essentiellement échangés sur la plateforme de Mt. Gox.
Comment égarer 118 millions
Les auteurs potentiels de ce «cryptocasse» du siècle ne manquent pas. Grand spécialiste de la pègre japonaise avec ses livres Tokyo Vice et
Le Dernier des yakuzas, Jake Adelstein enquête sur chacun d’eux, avec ténacité et roublardise, des deux côtés du Pacifique. On croise un surfeur libertarien vendeur de champignons hallucinogènes sur Silk Road (le plus grand supermarché du dark web), des policiers américains véreux, les incontournables hackers russes et même un «bot» (un logiciel automatisé) devenu fou, qui aurait pu prélever une véritable fortune sur les comptes de Mt. Gox au fil du temps, en toute discrétion.
C’est que le patron de la plateforme, Mark Karpelès, n’est pas particulièrement vigilant ni organisé quand il s’agit de surveiller ce qui se passe dans son entreprise. En mars 2014, il retrouve ainsi un peu miraculeusement une feuille de papier contenant le code d’accès – appelée clé privée – à 200000 bitcoins, soit près de 118 millions de dollars à l’époque. On ignore combien d’autres codes de ce genre il aurait pu perdre. Cela en fait-il un coupable, comme le croit la police nippone, qui lui réserve un traitement à la Carlos Ghosn, multipliant les inculpations pour imposer des gardes à vue prolongées dans le but d’obtenir des aveux?
Devenu prêtre bouddhiste zen en 2017 mais resté journaliste d’investigation pour le Daily Beast, Jake Adelstein clôt ses 230 pages en expliquant comment a été arrêté Alexander Vinnik, l’informaticien russe soupçonné d’avoir pillé Mt. Gox et d’avoir blanchi plusieurs milliards de dollars.
Mi-mars, Mark Karpelès a écopé de deux ans et demi de prison avec sursis pour avoir manipulé des données, tandis que ses anciens clients attendent toujours d’être remboursés.
Quant à Jake Adelstein, il n’a pas encore tranché la question de savoir si le bitcoin est une bénédiction ou une malédiction.