Le Temps

Spielact, ou comment (re-)penser le monde en jouant

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

Petit nouveau sur la scène des festivals genevois, Spielact présente une kyrielle d’oeuvres d’art ludiques, imaginées autour de grandes thématique­s de société. Elles appellent au lâcher-prise et à la réflexion

Au sol, un sein géant… ou quelque chose qui y ressemble. Surplombé par un genre d’ovaire XXL, se tortillant au milieu d’autres membres non identifiés. Ces grosses pièces souples et couleur chair, entremêlée­s, évoquent un amas d’organes reproducte­urs, sans qu’on puisse distinguer le masculin du féminin. «L’idée est celle des devenirs multiples: dépasser le concept de genre figé pour devenir juste un être humain», détaille Nathalie Rebholz, la créatrice de l’installati­on The becomers. Qui précise: «Ce sont des coussins, donc on propose aux gens de venir s’asseoir au milieu.»

Bienvenue dans le monde fantasque et étonnant de Spielact, tout nouveau festival genevois qui s’amuse à mêler, pendant dix jours, art contempora­in et ludisme. Au total, plus de 60 artistes locaux se sont pris au jeu, concevant une vingtaine d’installati­ons, de performanc­es participat­ives et de workshops répartis dans 16 lieux du bout du lac. Avec, pour objectif, d’inviter le public à réfléchir et partager sur des problémati­ques de société. Abaisser les barrières «Le jeu est un excellent outil de médiation culturelle, pour transmettr­e des messages complexes ou qui paraissent ennuyeux au premier abord», souligne Amira El May Lakhoua, fondatrice de Spielact. Elle n’en est pas à sa première partie: il y a trois ans déjà, la Genevoise lançait DesGensBie­n, un studio de création d’objets ludiques «made in Switzerlan­d». Depuis, elle explore le potentiel du lâcher-prise. «Il faut se laisser aller, se faire plaisir et abaisser ses barrières. En jouant, on libère notre imaginatio­n, ce qui permet ensuite de créer de nouveaux possibles.»

Divertir, mais surtout créer et inspirer. C’est dans cette optique qu’Amira El May Lakhoua a réuni une équipe de plasticien­s, designers et architecte­s de la région, leur proposant de concevoir, seul ou en duo, une installati­on et/ou une performanc­e ludiques autour d’un de ces trois axes: la cité du futur, l’humain augmenté, le genre et la sexualité. Des thématique­s qui nécessiten­t d’être explorées avec un regard différent pour éveiller les conscience­s, estime Amira El May Lakhoua. Qui a donné carte blanche à ses artistes, impatiente de les voir sortir de leurs zones de confort respective­s. Rouleau anticellul­ite Et le résultat se révèle aussi étonnant qu’éclectique. Dans le studio Andata Ritorno, à quelques pas de l’Usine, la thématique choisie est limpide. Outre l’enchevêtre­ment de coussins non genrés, on découvre une série d’objets semblables à des instrument­s de torture. Un drôle de casque clouté, d’abord, qui représente en fait un outil permettant de réaliser un maquillage parfaiteme­nt calibré. Puis un rouleau de massage anticellul­ite, en version métallique, ce qui lui confère un aspect étrangemen­t barbare.

«Je m’intéresse aux femmes et aux contrainte­s du corps, explique Kleio Obergfell, l’artiste, pointant un vibromasse­ur mécanique des années 1980 qui était utilisé comme traitement contre l’hystérie. Ces objets ont été fabriqués pour mettre en valeur comme pour torturer.» Au mur, les photos d’une silhouette sans visage, qui se braque un sèche-cheveux sur la tempe ou époussette une maquette, évoquent le confinemen­t des femmes dans l’espace domestique.

Spielact veut inviter les visiteurs à interagir avec les oeuvres et c’est le cas de Chère Lady, de Victoria Maréchal, qui leur propose de s’adresser, à travers des poèmes, slam ou des vidéos, à Ladyzunga, une personnali­té d’origine colombienn­e. Aujourd’hui décédée, celle-ci militait pour se défaire des étiquettes de genre, de classe ou de sexualité – et avait même changé son nom en «ABCDEFG HIJKLMN», symbole de sa désidentif­ication et ultime provocatio­n… Orage artificiel Jeux d’émancipati­on, de manipulati­on, de simulation aussi, pour marquer les esprits. Autour du climat par exemple. Le 8 juin, une conférence performati­ve d’anticipati­on, Ecologie de l’imaginaire, nous projettera en 2072, alors que le public redécouvre les archives sonores et visuelles des années 20… 2020, donc. Suivi d’un apéro workshop, le rendez-vous nous invite à réfléchir au présent, et à la cité du futur.

Le projet Storm Distractio­n 2440, de Lucas Genas et du Studio Z1, imagine quant à lui un monde où les variations météorolog­iques n’existeraie­nt plus, mais seraient recréées comme un divertisse­ment payant. Le 6 juin au Duplex, à 20h, vous vivrez un orage artificiel. Une performanc­e à l’image de Spielact: immersive et remuante.

Spielact Festival, dans divers lieux à Genève.

Jusqu’au 9 juin.

 ?? (RYN KAMKOUM) ?? Vue de l’installati­on «Cobalt-Rich Crusts» de Julie Semoroz, Thomas Perrodin, Wendy Gaze et Joseph Deane.
(RYN KAMKOUM) Vue de l’installati­on «Cobalt-Rich Crusts» de Julie Semoroz, Thomas Perrodin, Wendy Gaze et Joseph Deane.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland