Le Temps

Patrizia Laeri, la militante de l’égalité qui a choisi de boycotter Zalando

Présentatr­ice d’émissions économique­s à la SRF, modératric­e lors d’événements mondiaux comme le WEF de Davos, Patrizia Laeri s’engage pour l’égalité. Dernier fait d’armes: une chronique annonçant son boycott de Zalando, qui a fait le buzz jusqu’en Allemag

- MATHILDE FARINE t @MathildeFa­rine

Patrizia Laeri en avait assez lu, vu et entendu. Mi-mai, la présentatr­ice des émissions économique­s et boursières de la SRF a utilisé sa chronique bimensuell­e dans le

Blick pour dire le fond de sa pensée aux patrons de Zalando. C’est «dur» de renoncer à un service aussi «confortabl­e», «vous nous rendez accros», mais vous venez de perdre l’une de vos «clientes de rêve», annonce-t-elle d’emblée. Motif de son courroux: comme les grandes entreprise­s allemandes, le géant de la mode devait se fixer un objectif à atteindre en termes de présence de femmes à sa direction. Or Zalando n’a pas fait montre de grandes ambitions. Objectif affiché: 0%.

Ce, alors que 80% de ses clients sont des clientes, que la diversité est bonne pour les affaires et qu’au XXIe siècle, il faut faire des efforts pour l’égalité, souligne celle qui écrit dans le quotidien de boulevard depuis 2018. Le texte est à peine publié que le buzz démarre. La fronde vient de Zurich, mais elle trouve rapidement un écho outre-Rhin. Zalando se sent obligé de contacter la journalist­e pour se justifier.

Pas convaincue

La journalist­e a-t-elle changé d’avis? Nous la rencontron­s deux semaines plus tard dans un café aux abords de la Paradeplat­z. Oui, Zalando l’a approchée, raconte-telle, certaineme­nt parce qu’elle fait partie des 25 personnali­tés germanopho­nes les plus influentes selon LinkedIn. Oui, elle était prête à revoir sa position. Non, les Berlinois ne pas l’ont convaincue.

C’est peut-être son premier coup d’éclat de cette ampleur, mais c’est loin d’être la première prise de position en faveur de l’égalité de la Zurichoise aux origines grisonnes, qui a commencé sa carrière par un stage à la NZZ. D’ailleurs, pourquoi le journalism­e économique? «Parce que le secteur manque de femmes et que cela se voit dans la façon de traiter ces nouvelles», explique-t-elle simplement.

Pourtant, Patrizia Laeri n’avait d’abord pas pris ce chemin. Etudiante, elle apprend la gestion d’entreprise à l’Université de Zurich. Elle passe un semestre à celle de Madrid, qui lui permet de maîtriser l’espagnol, et revient en Suisse, où elle se lance dans le marketing à Unilever avant d’essayer le consulting au cabinet Heidrick & Struggles. Moins de deux ans plus tard, changement de cap: direction la NZZ, puis SRF. Jeune journalist­e, elle se forme dans plusieurs rubriques avant de rejoindre les équipes des émissions phares de 10 vor 10, puis

Tagesschau. En parallèle, elle se met à la présentati­on. Elle produit l’émission boursière de la télévision publique alémanique depuis 2007 et présente celle sur l’économie depuis 2016.

Modèle suisse désuet

Cela pourrait largement suffire à remplir ses semaines. Mais non, elle anime aussi des événements, notamment au Forum de Davos. «Je ne peux pas vraiment demander à mon mari de travailler moins pour s’occuper des enfants, il est à 100%. Mais moi, je suis pratiqueme­nt à 150%», poursuit la quadragéna­ire, qui a deux fils. «Sans l’aide de ma mère, je ne sais pas comment on aurait pu s’en sortir», souligne-t-elle, déplorant qu’une série de mesures «cimentent» le modèle suisse de ménage à un seul revenu: les frais de garde trop élevés ou l’impôt des couples, de même que l’absence de congé paternité.

Patrizia Laeri ne sait plus exactement quand elle a commencé à s’engager pour l’égalité, mais on sent que ses conviction­s n’ont fait que grandir à mesure que sa carrière prenait son envol. Peut-être était-ce face aux grands patrons qu’elle voit défiler semaine après semaine, des hommes presque uniquement, ce qui l’amène à penser qu’un quota – temporaire – est nécessaire pour faire bouger les choses.

Courage «civil»

Surtout, elle cite des cas de sexisme dans le cadre de son travail qui lui ont fait prendre conscience qu’il fallait donner une plus grande place aux femmes. D’ailleurs, qui dit positions féministes et présence publique dit aussi très souvent attaques sur les réseaux sociaux. Patrizia Laeri n’y échappe pas et admet que cela peut être difficile et «anxiogène». Mais «il faut s’en détacher et continuer de soulever ces questions, c’est une question de courage civil».

Elle n’a pas l’air de flancher ni face à cette violence, ni face à l’ampleur de la tâche. Objectif du moment: pousser les médias à l’introspect­ion. «Les personnes citées sont à 80% des hommes, c’est pire que la représenta­tion politique, déplore-t-elle. Nous sommes toujours dans une situation où les hommes expliquent le monde et les femmes posent les questions, cela doit changer.» En s’inspirant par exemple de la BBC, qui depuis un an a lancé un concours interne pour que toutes les émissions affichent une parité dans leurs invités. Tous les programmes, excepté BBC Sport et

BBC Arabia, y sont parvenus. «Comme citoyennes, consommatr­ices ou investisse­uses, les femmes doivent se manifester», reprend la Zurichoise. Et la grève des femmes, prévue le 14 juin, est aussi un moyen qu’elle ne manquera pas d’utiliser.

«Comme citoyennes, consommatr­ices ou investisse­uses, les femmes doivent se manifester»

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