Le Temps

Marc-Olivier Wahler, un invité surprise à la tête du Musée d’art et d’histoire de Genève

Spécialist­e de l’art contempora­in, le Neuchâtelo­is Marc-Olivier Wahler, qui a dirigé à Paris le Palais de Tokyo, promet une nouvelle jeunesse au Musée d’art et d’histoire de Genève

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff t

Un prince charmeur pour une belle endormie. Le Neuchâtelo­is Marc-Olivier Wahler, 55 ans, serat-il ce chef de troupe qui arrachera le Musée d’art et d’histoire de Genève à une neurasthén­ie chronique? Projettera-t-il ce palais des arts et du savoir, hérité du XIXe siècle, dans le futur, comme il l’annonce? Donnera-t-il au château de la rue Charles-Galland des ailes de cygne?

Sous les toits du Palais Eynard où il a invité la presse, Sami Kanaan, ministre municipal de la Culture, est prêt à prendre les paris. Marc-Olivier Wahler est le lauréat surprise d’un tournoi en trois actes. Au premier, ils étaient 52 candidats, dont 46 crédibles, à espérer occuper le fauteuil de Jean-Yves Marin, actuel patron du MAH qui atteint l’âge de la retraite. Au deuxième, ils n’étaient plus que huit à se succéder devant un jury d’experts présidé par Carine Bachmann, directrice du Départemen­t de la culture et du sport.

C’est au dernier acte, quand il s’est agi d’imaginer un musée pour les dix ans à venir, que Marc-Olivier Wahler a frappé et convaincu un jury où figuraient Jacques Hainard, un des hommes qui ont bouleversé la muséograph­ie en Suisse, et Roger Mayou, timonier du Musée internatio­nal de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

«Son sens de l’innovation nous a enthousias­més», déclarait mercredi Carine Bachmann. Marc-Olivier Wahler a fait ses preuves, à Paris notamment, à la tête du Palais de Tokyo, institutio­n qui compte sur la scène de l’art contempora­in. Il a servi les intérêts des artistes suisses au Swiss Institute à New York, au début des années 2000. Il a su encore rebondir, après l’épisode parisien, au fin fond du Michigan où il a dirigé le MSU Broad Museum, «un petit musée qui était encyclopéd­ique», précisait-il à dessein au Palais Eynard.

Car Marc-Olivier Wahler ne paraissait a priori pas profilé pour une institutio­n paquebot – près de 130 personnes, plus de deux fois la taille du Palais de Tokyo. Il serait plutôt taillé pour les catamarans. Le goût des vents forts et des traversées éclairs. Alors?

On ne vous imaginait pas au MAH. Pourquoi avoir postulé?

Parce que j’ai été emballé par le projet, celui de la commission d’experts présidée par Roger Mayou et Jacques Hainard qui a rendu son rapport en juin passé. Je suis attaché à ce principe de mettre en résonance les collection­s de ce musée, d’extraire de ces trésors des récits partageabl­es. Je suis surtout convaincu qu’on doit réfléchir au musée de demain, au vu de nos changement­s d’habitudes, des espaces d’expérience ouverts par les technologi­es. Le MAH a une image poussiéreu­se aujourd’hui, malgré la qualité de ses équipes et leur travail. Je voudrais que, dans dix ans, ce musée soit un exemple, un musée du futur. Le monde entier va nous regarder.

Comment allez-vous faire?

Il faut privilégie­r les regards transversa­ux, le dialogue, par exemple entre une amphore grecque et un tableau du XVIIIe. Il faut donner une dignité égale à tous les objets. Longtemps, la culture a impliqué des hiérarchie­s, ce temps est fini. Regardez ce qui intéresse la génération des 15-25 ans: ils peuvent être captivés par un défilé de mode, par une expo de photos ou de manga. C’est aussi à eux qu’on doit s’adresser. Une exposition est une aventure, elle favorise les connexions, offre des angles de lecture multiples.

Mais les exposition­s qui cartonnent tournent autour d’un grand nom, Picasso, Rembrandt, Van Gogh…?

On s’y presse parce qu’on nous les offre. Mais ce n’est pas l’avenir des musées.

Quelle est l’exposition qui est pour vous un modèle, celle qui vous a fait rêver?

The Uncanny, ce parcours stupéfiant conçu par le plasticien américain Mike Kelley, à Vienne en 2003. Il avait imaginé des rapprochem­ents inouïs entre des objets venus de toutes les strates de la culture, une collection de timbres, des peluches, des instrument­s scientifiq­ues, des tableaux. C’est cette collision d’intelligen­ces, de matières, de formes, de références qui m’excite. Parce qu’elle permet de voir des objets familiers sous un angle inédit. Parce qu’elle vivifie notre lecture du présent.

Le MAH est une institutio­n mammouth, avec ses fortes têtes, ses savoirfair­e, ses seigneurie­s. Comment mobiliser ses équipes?

Je ne suis pas le spécialist­e d’un domaine, je me vois comme un coach de football. Je donne la vision, je conçois la stratégie, je fais en sorte que chaque personnali­té joue à son meilleur poste. S’il y a des clans, des méfiances, c’est que les gens se sentent incompris. Mon rôle est de les écouter et de les motiver.

Quand l’art est-il entré dans votre vie?

J’avais 15 ans, j’habitais Neuchâtel, je jouais surtout au foot, à Neuchâtel Xamax, et au basket. Un jour, je tombe dans la rue sur un tableau de Gérard Schneider, ce peintre franco-suisse, un abstrait pour dire vite, exposé à la galerie Ditesheim. Je m’arrête net, fasciné. Un an plus tard, j’apprends qu’il est exposé à Zurich. Je m’y rends, je ne trouve pas l’endroit, je m’assieds fourbu et quand je me retourne, je vois une oeuvre de l’Américain James Turrell. Un autre éblouissem­ent. C’est là que ça a commencé.

Adolescent, comment imaginiez-vous votre futur?

Je ne savais pas. Mais j’ai fait à ce moment-là des découverte­s décisives pour moi, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola notamment. Le cinéma a contribué à me former. Plus tard, à l’université, il y a eu la philosophi­e analytique et plus encore l’esthétique analytique, en particulie­r La Transfigur­ation du banal d’Arthur Coleman Danto. Je reste fasciné par ce mystère, comment des pigments projetés sur une toile deviennent, dans le regard du visiteur, une oeuvre d’art. Cela relève de la magie, c’est-à-dire d’un système de croyances et de clés dont on dispose ou pas.

Quelle est la première chose que vous ferez le 1er novembre, jour où vous entrerez en fonction?

Mon travail commence bien avant. Dans les semaines qui viennent, j’irai à la rencontre de tous les acteurs culturels à Genève, pour les écouter, recueillir leurs désirs. Le MAH doit être l’outil de chacun. On a dix ans pour que les gens rêvent de leur musée. Notre mission est que ces rêves deviennent réalité.

«Il faut privilégie­r les regards transversa­ux»

 ?? (MARTIAL TREZZINI/ KEYSTONE) ?? Marc-Olivier Wahler: «Une exposition est une aventure, elle favorise les connexions, offre des angles de lecture multiples.»
(MARTIAL TREZZINI/ KEYSTONE) Marc-Olivier Wahler: «Une exposition est une aventure, elle favorise les connexions, offre des angles de lecture multiples.»

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