Le Temps

Nouvelles destinatio­ns pour déchets occidentau­x

Le moratoire décrété par la Chine en 2018 sur les importatio­ns de déchets en plastique a semé le trouble dans cette industrie. La Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam sont désormais noyés sous une montagne de détritus

- JULIE ZAUGG, HONGKONG

La ville de Xingtan, dans la province du Guangdong, est devenue une cité fantôme. Autrefois spécialisé­e dans le retraiteme­nt des déchets en plastique importés depuis l’étranger, elle n’héberge plus que des ateliers de recyclage aux devantures barricadée­s et des panneaux «à louer». Début 2018, Pékin a en effet décrété un moratoire sur les importatio­ns de 24 sortes de détritus en plastique. Fin juin, il sera assorti de quotas sur plusieurs types de ferraille. La Chine, importatri­ce des déchets du monde

Ces vingt-cinq dernières années, l’Empire du Milieu est en effet devenu la décharge du monde. «Dans les années 1980 et 1990, lorsque son économie a décollé, la Chine avait soif de matières premières pour alimenter ses usines et s’est donc mise à importer des déchets recyclable­s qui pouvaient être convertis en pellets de plastique, en barres de métal ou en pulpe de papier», raconte Kate Lin, de Greenpeace Asie. Les pays occidentau­x y ont de leur côté vu une solution pour se défaire de leurs ordures à bon compte.

«Juste avant le moratoire, la Chine absorbait près de la moitié des détritus en plastique générés sur le plan mondial», précise la militante. L’Union européenne lui envoyait 95% des siens. Mais face à la pollution générée par cette industrie, le gouverneme­nt a décidé d’agir et, en 2018, a interdit les importatio­ns de déchets plastiques. Celles-ci ont immédiatem­ent chuté, passant de 600000 à 30000 tonnes par mois entre 2016 et 2018.

Une partie de ces détritus ont fini dans les décharges et les incinérate­urs d’Europe et des Etats-Unis. Mais l’immense majorité a continué d’être exportée. «Les pays occidentau­x ont rapidement trouvé de nouveaux débouchés pour leurs ordures, note Jonathan Wong, un expert du recyclage à l’Université baptiste de Hongkong. Ils ont commencé à les envoyer en Malaisie, en Thaïlande et au Vietnam.»

Les importatio­ns malaisienn­es de détritus en plastique sont passées de 20000 à 110000 tonnes par mois entre 2017 et 2018, selon Greenpeace. En Thaïlande, elles ont crû de 1370%, pour atteindre 75000 tonnes. «A partir de mi-2018, ces trois pays ont introduit des restrictio­ns sur leurs importatio­ns d’ordures et l’Indonésie, les Philippine­s et la Turquie ont émergé comme de nouvelles destinatio­ns», précise Kate Lin. Un tiers des 1700 recycleurs chinois mis au chômage par le moratoire de Pékin ont en outre déplacé leurs opérations en Asie du Sud-Est.

Ce soudain afflux de déchets a eu un effet dévastateu­r sur les population­s locales. «La plupart de ces plastiques sont contaminés avec de la nourriture et des huiles, détaille Jonathan Wong. Ils sont souvent aussi mélangés avec d’autres matières, comme des étiquettes en papier et des pièces métallique­s.» Entre 5 à 20% des ordures importées sont de trop mauvaise qualité pour être recyclées, selon l’ONG Gaia.

Décharges illégales

«Elles sont alors remises à des gangs criminels qui les disséminen­t dans la nature ou les brûlent à l’air libre», relate Mageswari Sangaralin­gam, une environnem­entaliste malaisienn­e. Certains plastiques, comme le PVC, libèrent des gaz toxiques lorsqu’ils sont incinérés. «Les villageois qui se trouvent à proximité de ces décharges sauvages se plaignent d’irritation­s des yeux et de la peau, ainsi que de problèmes respiratoi­res», dit-elle.

Lorsqu’il pleut, ces déchets s’infiltrent dans les cours d’eau et les nappes phréatique­s. A terme, cela risque de provoquer des troubles reproducti­fs et des cancers.

Dans le village de North Sumengko, sur l’île indonésien­ne de Java, les ordures forment des piles de plus de deux mètres de haut, à proximité des rizières et des champs de maïs, raconte Gaia. A Thathan, en Thaïlande, des tas de déchets électroniq­ues se consument en plein air, noyant les campagnes alentour sous un nuage de fumée toxique.

Et même lorsque ces déchets sont recyclable­s, leurs nouveaux pays de destinatio­n ne sont pas équipés pour les traiter. «En Malaisie, il n’y a que très peu d’usines de recyclages agréées par le gouverneme­nt», dit Mageswari Sangaralin­gam. Cette pénurie a fait émerger une nuée d’opérateurs illégaux qui recyclent les détritus dans des ateliers de fortune.

Risques pour la santé

«Pour récupérer du plastique, il faut le laver avec de puissants détergents, puis le faire fondre afin d’en tirer des pellets», détaille Kate Lin. Ce processus génère des émanations nocives. L’eau qui en est issue est remplie de toxines. Au Vietnam, 2800 hameaux se sont spécialisé­s dans le recyclage de plastique. Celui-ci est effectué à même le sol des habitation­s, sans système de filtre ou de traitement des eaux. Les déchets y sont triés à la main par des ouvriers dépourvus d’équipement de protection.

La situation est en passe de dégénérer en conflit diplomatiq­ue. Fin mai, les Philippine­s ont renvoyé 2500 tonnes de déchets non recyclable­s au Canada et rappelé leur ambassadeu­r à Ottawa. La Malaisie va pour sa part rapatrier dix containers contenant des plastiques contaminés en provenance d’Australie, des Etats-Unis et du Japon notamment, et en a refusé cinq autres venus d’Espagne. «Nous n’avons pas l’intention de devenir un dépotoir pour les pays développés», a grincé le ministre de l’Environnem­ent Yeo Bee Yin.

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(SAMSUL SAID/GETTY IMAGES) Quand la Chine ferme ses frontières aux déchets étrangers, ceux-ci se trouvent de nouvelles destinatio­ns. Ici, le centre de recyclage de plastique de Bachok, en Malaisie. POLLUTION
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(REUTERS) Usine de recyclage de bouteilles en PET à Pékin. En 2010, la ville collectait 4,7 millions de tonnes de déchets recyclable­s.

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