Le Temps

Fumiaki Hoshino, la prison pour tombeau

- PHILIPPE ESNARD, TOKYO

L’un des plus anciens prisonnier­s du Japon, l’activiste Fumiaki Hoshino, vient de décéder après quarante-quatre ans derrière les barreaux, illustrant les dérives du système pénitentia­ire japonais

C’est une exposition particuliè­re qui se prépare à Kazo, dans le départemen­t de Saitama, au nord de Tokyo. Du 15 au 17 juin, le centre Shimin Plaza présentera des aquarelles lumineuses de Fumiaki Hoshino, un activiste décédé le 30 mai des suites d’un cancer après quarante-quatre ans dans l’ombre d’une cellule de la prison de Tokushima (ouest du Japon).

Victime de ce que ses soutiens considèren­t comme une véritable répression politique, il aura été l’un des plus anciens prisonnier­s du Japon.

Fumiaki Hoshino a vu le jour en 1946 à Sapporo (nord). En 1966, il entre à l’Université d’économie de Takasaki, à Gunma (centre), où il se politise. Dans un Japon confronté aux tumultes d’une jeunesse contestata­ire, il s’investit dans différente­s causes, participe aux manifestat­ions de juillet 1971 contre l’expropriat­ion des agriculteu­rs de Narita, près de Tokyo, pour la constructi­on d’un nouvel aéroport.

En novembre de la même année, le jeune homme au regard déterminé derrière des lunettes à lourde monture participe aux affronteme­nts de Shibuya, à Tokyo, en marge d’une manifestat­ion organisée par la Chukaku-ha, organisati­on trotskiste de l’autoprocla­mée Nouvelle Gauche japonaise, contre l’utilisatio­n des bases américaine­s d’Okinawa pour la guerre du Vietnam. Les heurts virent au drame: un policier meurt. Une enquête est ouverte. Six étudiants sont arrêtés. Ils signent des aveux accusant Fumiaki Hoshino, interpellé en août 1975.

Pendant sa garde à vue, menée comme toujours au Japon sans avocat, il ne dit mot, fidèle sur ce point à la doctrine du Parti communiste japonais d’avant-guerre, selon laquelle parler signifiait se rendre coupable de tenko, d’«apostasie».

Absence de preuves

Malgré cela, la rétractati­on des témoins pendant son procès, l’absence de preuves tangibles et une pétition signée par 120000 personnes pour sa libération, Fumiaki Hoshino est condamné en 1979 à 20 ans de détention. Le parquet, qui requérait la peine de mort, fait appel. La sanction est alourdie en détention à perpétuité. «L’Etat était à l’époque déterminé à éliminer toute militance», rappelle William Andrews, spécialist­e des radicalité­s japonaises.

Fumiaki Hoshino est aussi jugé pour les manifestat­ions de Narita. Une femme, Akiko, assiste aux audiences. «Il parlait avec une telle conviction de son engagement pacifiste, pris après avoir vu des photos des victimes des bombardeme­nts atomiques sur Hiroshima et Nagasaki», expliquait-elle en 2004 à David McNeill, journalist­e et universita­ire basé au Japon.

«Je n’ai jamais touché sa main»

Elle lui écrit. Ils finissent par se marier en 1986 malgré l’opposition des parents de la jeune femme. Un mariage jamais consommé. «Je n’ai jamais touché sa main», rappelait Mme Hoshino le 15 mars dernier en conférence de presse. Elle n’avait le droit de le voir que trois fois par mois, pendant trente minutes. Depuis sa condamnati­on, Fumiaki Hoshino n’a pu voir que sa femme, son avocat, son frère et sa mère, qui, elle, ne pouvait lui rendre visite qu’une fois par an.

Akiko Hoshino aura été de tous les combats pour obtenir une révision du procès de celui qui est devenu, malgré la tendance de la presse locale à le présenter sous un aspect uniquement violent, l’un des détenus politiques emblématiq­ues du Japon, au point d’inspirer le dramaturge Yoji Sakate, qui a retracé l’histoire du couple Hoshino dans Blind Touch (2004).

Le Comité de défense de Fumiaki Hoshino n’a eu de cesse de dénoncer les conditions de sa détention. Ponctuée de périodes d’isolement total, elle a été qualifiée de «cruelle, inhumaine et dégradante» par Amnesty Internatio­nal, qui estime que «le parquet utilise cette affaire pour montrer sa sévérité contre les crimes commis par des mouvements politiques».

Elle n’a pourtant pas éteint la flamme militante de Fumiaki Hoshino. «La prison de Tokushima est gelée en hiver. Fumiaki a organisé une manifestat­ion pour obtenir davantage de couverture­s. Il les a obtenues», raconte sa femme. Les yakuzas passés par Tokushima ne l’ont pas oublié. Une fois libérés, ils lui envoyaient des colis pour améliorer son quotidien.

La détention de Fumiaki Hoshino a été qualifiée de «cruelle, inhumaine et dégradante» par Amnesty Internatio­nal

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FUMIAKI HOSHINO

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