Multinationales responsables, dernière bataille avant les urnes
Les filiales étrangères d’entreprises helvétiques doivent-elles être surveillées de plus près? La question agitera prochainement le Conseil national. S’il refuse le compromis, les initiants annoncent un combat acharné devant le peuple
Des mines qui contaminent un fleuve en Colombie, des insecticides fabriqués – et interdits – en Suisse qui empoisonnent des paysans en Inde, du travail d’enfants dans une mine burkinabée, cela doit cesser, gronde le comité d’initiative pour des multinationales responsables. Il exige que les entreprises domiciliées en Suisse fassent respecter les droits humains et les standards environnementaux internationalement reconnus à leurs filiales. A défaut, les victimes pourraient réclamer dommages et intérêts devant la justice suisse. Après de multiples rebondissements, l’initiative revient au Conseil national le 13 juin – qui aura une dernière occasion de s’entendre sur un contre-projet. Avec cette question: les entreprises suisses doivent-elles être tenues responsables des erreurs commises par leurs sous-traitants? «Respecter les droits de l’homme n’est pas si compliqué»
Adrian Wiedmer pense que oui. Directeur de Gebana, entreprise de 700 employés pionnière dans le domaine du commerce équitable fondée à Zurich dans les années 1970, il est confronté tous les jours à cette problématique: «Nous travaillons avec 8500 producteurs répartis sur trois continents, dont un millier produit du cacao au Togo, raconte-t-il. Là-bas, il arrive que nous collaborions avec des familles qui désirent faire travailler leurs enfants, ce qui n’est évidemment pas tolérable. Je ne nie pas qu’il soit complexe de tout contrôler et que nous avons toujours peur de découvrir ce genre de pratiques. Mais ce n’est pas le plus important. S’il est impossible de faire du commerce sans faire d’erreurs, lorsqu’une faute est commise, il faut en assumer la responsabilité.»
Le Zurichois, qui approvisionne Coop et Migros en produits bios, a été confronté au problème. «J’ai vécu quelques années au Brésil à côté d’un centre de recherche de Syngenta. Ce dernier faisaient des tests sur des OGM à côté du parc naturel d’Iguazu, ce qui était interdit par le règlement de la réserve. Les paysans ont fini par occuper l’endroit pour protester, ce qui a mené Syngenta à engager une entreprise de sécurité réputée violente pour s’en débarrasser. Il y a eu deux morts et plusieurs blessés. Syngenta n’a jamais pris la responsabilité d’avoir engagé cette force.» L’entreprise basée à Bâle dément la version des faits du Zurichois. L’histoire donne toutefois l’exemple d’un incident pour lequel – si l’initiative était acceptée – la responsabilité de la compagnie pourrait être engagée en Suisse. Convaincu par la campagne, Adrian Wiedmer a lancé un crowdfunding pour la soutenir. Lancé fin mai, il a déjà récolté 270000 francs.
La proposition citoyenne lancée en avril 2015 ne manque en effet pas de soutiens. A commencer par la population, qui déploie volontiers à ses fenêtres son logo orange affichant deux mains entourant la terre. Portée par plus de 80 organisations d’aide au développement, de défense des droits humains ou de l’environnement, des Eglises ou encore des syndicats, elle bénéficie aussi du support politique de la gauche, d’une partie du PDC et de quelques PLR. «L’objectif est justifié», reconnaissait même le Conseil fédéral fin 2017 – avant de refuser catégoriquement la proposition. La droite ne se reconnaît en effet pas dans cette initiative de gauche, que la faîtière Economiesuisse qualifie de «néfaste» et l’UDC de «laissez-passer pour l’industrie internationale de la plainte».
Soutien des entreprises
Toutefois, la fronde demeure forte et, la semaine prochaine, les politiques devront choisir: saisir l’ultime possibilité d’un contre-projet pour que les initiants retirent leur texte ou partir au combat devant le peuple. Beaucoup d’entreprises préféreraient la première variante: «La Swiss Trading and Shipping Association, qui regroupe 88 entreprises du domaine des matières premières, nous demande de rédiger un contre-projet, interpellait le Vert Genevois Robert Cramer en mars dernier. Le groupement des entreprises multinationales, près de 100 membres, nous le demande aussi. La Communauté d’intérêt du commerce de détail suisse, dont Migros, Coop et Denner en font partie, également. La plupart des pays voisins ont légiféré. Serons-nous les derniers à agir?»
Si le parlement adopte un contre-projet convaincant, nous retirerons notre texte, réitère Ilias Panchard, chargé de campagne pour le comité romand. Et dans le cas contraire? «Nous aurons bientôt jusqu’à 250 comités locaux pour défendre l’initiative.» La balle est dans le camp parlementaire.
▅
«La plupart des pays voisins ont légiféré. Serons-nous les derniers à agir?» ROBERT CRAMER, CONSEILLER AUX ÉTATS (VERTS/GE)