Le Temps

Quel est le plan B des syndicats pour notre relation avec l’Europe?

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Voici quelques indicateur­s de l’intensité des relations Suisse-Union européenne (UE): 70% de nos importatio­ns de marchandis­es viennent de l’UE, 52% de nos exportatio­ns vont dans l’UE; 50000 professeur­s, étudiants et apprentis sont/ont été partenaire­s de programmes Erasmus-Horizon, 60% de nos lois sont reprises de la législatio­n européenne.

Comment alors expliquer l’actuelle cacophonie concernant l’accord-cadre institutio­nnel censé garantir des relations plus stables avec l’UE, avec une meilleure sécurité juridique? Après cinq longues années de négociatio­ns, des questions importante­s font toujours débat: les mesures d’accompagne­ment (protection des salaires), les aides publiques (nouveau régime?), le règlement des différends (procédure à clarifier), les droits des citoyens européens en Suisse.

Si l’UDC s’en tient à sa position anti-européenne classique, l’Union syndicale suisse (USS) est, elle, leader du front du refus sur ce projet d’accord, vu comme une «menace pour les salaires et les emplois» (réduction du délai d’annonce, affaibliss­ement du système de caution, rôle de la Cour de justice de l’UE…). Fâchée par les positions d’Ignazio Cassis, l’USS a décidé en été 2018 une politique de la «chaise vide», le boycott des discussion­s entre partenaire­s sociaux et Conseil fédéral, sans tenter d’améliorer l’accord avant sa conclusion, par exemple avec la facilitati­on d’Alain Berset, alors président de la Confédérat­ion. La communicat­ion syndicale s’est depuis limitée à la menace du référendum contre l’accord, sans gêne apparente pour son alliance contre nature avec l’UDC.

Si la protection des salaires mérite attention et soutien, la direction de l’USS s’inspire d’une idéologie anticapita­liste déjà à l’oeuvre au sein d’une partie de la gauche lors du refus sans alternativ­e de l’EEE en 1992. Plutôt qu’une communauté de valeurs et d’intérêts en devenir, l’UE est vue comme une institutio­n technocrat­ique d’inspiratio­n néolibéral­e. Les bonnes relations avec les syndicats européens font mine d’ignorer que nos partenaire­s, eux, sont issus de pays membres de l’UE et qu’ils exercent leur rôle d’acteurs critiques de plein droit au sein de l’UE, pas en marge.

Plutôt que de renforcer malgré elle le parti europhobe-conservate­ur, l’USS devrait revenir à l’article 2 de ses statuts qui stipule: «l’USS vise à faire entrer la Suisse dans l’UE et à s’engager pour qu’elle devienne une Europe sociale». Magnifique perspectiv­e qui implique qu’on propose et débatte, bref qu’on occupe «la chaise vide»!

L’USS n’a jusqu’ici pas expliqué non plus les conséquenc­es politiques, économique­s d’un refus de tout accord. Quel est son plan B face à l’érosion prévue des accords bilatéraux, l’insécurité juridique et économique, la participat­ion fragilisée aux programmes Horizon et Erasmus ou aux conséquenc­es négatives sur le marché du travail?

Pendant ce temps, l’Europe bouge. Le chômage est en baisse significat­ive, plusieurs pays de l’Est connaissen­t des taux inférieurs à 5%, proches du nôtre! Des dizaines de milliers de personnes manifesten­t à Prague, Varsovie ou Budapest contre la corruption et le populisme. Un «socle des droits sociaux» (égalité des chances, conditions de travail, protection sociale) a été adopté récemment et une Agence pour l’emploi va entrer en fonction. La nouvelle directive sur les travailleu­rs détachés, qui entrera en vigueur d’ici à 2020, reconnaît le principe du «salaire égal à travail égal au même endroit». Et les résultats des élections européenne­s sont encouragea­nts: participat­ion en hausse, partis pro-européens dominants, Europe verte, populistes marginalis­és.

Beaucoup d’acteurs s’engagent aussi pour une meilleure Europe, tels les grands médias européens. El Pais écrit: «L’Europe est l’une des inventions les plus extraordin­aires de l’humanité.» Die Welt: «L’Europe doit se voir comme un ensemble dont l’union fait la force.» Gazeta Wyborcza: «Sans l’UE, la Pologne est un pays périphériq­ue […] livré à la fatalité historique, abandonné.» La Repubblica: «Un continent dévasté […] s’est transformé en un modèle de paix, de démocratie et de liberté.»

En contraste, quel est l’avenir d’une Suisse repliée sur elle-même, europhobe? Stimulée par une place financière et une place de négociants en matières premières aux activités douteuses, elle restera prospère, néolibéral­e, conservatr­ice et isolée. Bon analyste, Andreas Rieger, dirigeant retraité d’Unia/USS, voit deux alternativ­es: un «Monaco de l’Europe» ou la reprise des décisions prises par l’UE, sans codécision. Faut-il s’y résigner?

Plutôt que de renforcer malgré elle le parti europhobec­onservateu­r, l’USS devrait revenir à l’article 2 de ses statuts

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MARIO CARERA MEMBRE DU COMITÉ DIRECTEUR DU PSS, DÉLÉGUÉ À LA PRÉSIDENCE DU PS EUROPÉEN

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