Le Temps

Gérard Larcher ou l’Helmut Kohl français

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La comparaiso­n est flatteuse. Helmut Kohl, tout le monde le sait, fut pendant seize ans (1982-1998) un «grand» chancelier allemand chrétien-démocrate, que sa gestion de la réunificat­ion de 1989-1990 propulsa dans les livres d’histoire. Prendre appui sur la silhouette du colosse de Ludwigshaf­en (sa ville de Rhénanie-Palatinat où il mourut le 16 juin 2017) pour décrire la personnali­té et la posture politique de Gérard Larcher, le président du Sénat français bientôt septuagéna­ire, mérite donc de sacrées précaution­s.

Rien, pour l’heure, ne permet de dire que le sénateur des Yvelines qui préside l’institutio­n du palais du Luxembourg depuis 2014 (après un premier mandat de 2008 à 2011) porte en lui la stature internatio­nale de Kohl. Mais la comparaiso­n, face à un Emmanuel Macron affairé depuis 2016 à disloquer les partis politiques comme dans un jeu de quilles, tient au moins sur un registre: celui de la fine connaissan­ce de la carte électorale et des baronnies locales. Le chancelier allemand avait la réputation de connaître par coeur le détail des scrutins dans chaque Land. Il faisait son miel des rapports de force régionaux et des enquêtes d’opinion sur les préférence­s des électeurs éloignés des métropoles. Il savait aussi – l’affaire politico-judiciaire des caisses noires de la CDU l’a prouvé à la fin des années 1990 – mettre ce qu’il faut «d’huile» dans les rouages pour conserver coûte que coûte le soutien de sa base. Une pratique de la politique incarnée dans le passé en France par l’ancien président Jacques Chirac, dont Gérard Larcher fut un ministre du Travail respecté au sein du gouverneme­nt de son alter ego et adversaire centriste Jean-Pierre Raffarin, battu à deux reprises pour la tête du Sénat.

Attardons-nous sur l’équation Larcher. Comme jadis Helmut Kohl, l’homme aime la gastronomi­e et n’a pas son pareil pour se retrouver au centre des réseaux d’influence. L’Allemand, entré en politique profession­nelle à l’âge de 29 ans, était issu d’une famille profondéme­nt catholique. Gérard Larcher, vétérinair­e de profession et spécialist­e des chevaux, a découvert les allées du pouvoir en étant, à 34 ans, élu maire de Rambouille­t, dans le diocèse très catholique de Versailles, avant de se convertir plus tard au protestant­isme. La foi politique qui les anime n’est, en revanche, pas si différente. Même profil de conservate­urs bon teint. Même goût pour les conclaves d’élus, indispensa­bles selon eux pour accoucher de décisions respectées, puis appliquées. Même conviction que le «donnant-donnant» restera toujours le sel de la vraie politique. Même goût pour un parlementa­risme prudent, mais réactif. «Le credo du chasseur Larcher est assez simple, note un influent sénateur de la majorité présidenti­elle, résolu à contrer la montée en puissance de cet adversaire potentiel d’Emmanuel Macron. Il est en permanence à l’affût et son cabinet a pour principale mission de le tenir informé de tout sur tout. C’est la politique de l’embuscade, version Raminagrob­is.»

L’avantage de Gérard Larcher est, comme jadis Helmut Kohl, de ressembler à son électorat. A Emmanuel Macron, le rôle de l’éternel premier de la classe toujours tenté de donner des leçons à ces Français qui ne le comprennen­t pas. A Marine Le Pen le soin d’attiser la colère antisystèm­e, tout en évitant désormais d’affoler les Français en promettant de déboulonne­r l’euro et l’UE. A Laurent Wauquiez, président démissionn­aire des Républicai­ns, la tentation d’une renaissanc­e conservatr­ice et morale dont l’échec de son parti aux européenne­s vient de démontrer l’impasse. Larcher, lui, se contente d’être un miroir. Il reflète les frustratio­ns territoria­les que Macron a mis si longtemps à comprendre, les inquiétude­s sur la compétence du clan Le Pen, et les rancoeurs semées chez Les Républicai­ns par la brutalité du spadassin Wauquiez. Sa propositio­n d’organiser une grande convention de la droite à l’automne prochain n’est rien de moins qu’un appel à projets. Le seul programme de Gérard Larcher est que le pragmatism­e, chez les conservate­urs, doit toujours l’emporter. Y compris au niveau européen.

Reste ce qui fit d’Helmut Kohl un dirigeant de premier plan et, en Allemagne, un «ogre» politique: son appétit insatiable du pouvoir suprême. Passer des bonnes tables et des banquets sénatoriau­x aux «visiteurs du soir» de l’Elysée qui viennent en permanence arracher des décisions à leur avantage n’est pas une sinécure. S’il devait se positionne­r pour l’élection présidenti­elle de 2022, Gérard Larcher ferait bien d’étudier de près tous les rouages de la «méthode Helmut». ▅

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RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

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