Le Temps

Pays-Bas, les vainqueurs de demain?

Plus encore que la Suisse, les Oranje sont l’équipe surprise du Final Four, après un Euro et une Coupe du monde devant la télévision, et trois ans après la publicatio­n d’un rapport technique qui promettait de faire la révolution culturelle

- t LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

En sport, celui qui perd fait un pas vers sa prochaine victoire. Et s’il touche le fond, il n’en remontera que mieux. Le football français a bâti ses succès dans le marasme de sa sélection dans les années 1970, l’Allemagne s’est réinventée sur les ruines du désastre de la Coupe du monde 1998 (et s’apprête à relancer le processus), la Belgique a fait sa révolution après le zéro pointé de l’Euro 2000. Personne toutefois n’est allé aussi vite que les Pays-Bas.

Finalistes en 2010, troisièmes en 2014, les Oranje avaient regardé la Coupe du monde 2018 à la télévision, deux ans après avoir déjà échoué à participer à l’Euro 2016 qui qualifiait 24 équipes (dont l’Albanie, l’Islande, le Pays de Galles, l’Irlande du Nord). Les voici au Final Four de la Ligue des nations, presque dans la peau d’un favori après s’être extrait d’une poule comprenant la France et l’Allemagne.

L’équipe la plus cool du monde

Aujourd’hui, les Pays-Bas sont l’équipe la plus cool du monde, emmenée par les tauliers de Liverpool, Virgil van Dijk et Georginio Wijnaldum, l’insaisissa­ble Memphis Depay et le trio magique de l’Ajax Amsterdam, Matthijs de Ligt, Donny van de Beek et Frenkie de Jong. Talent, caractère, confiance, jeunesse: les joueurs de Ronald Koeman ont tout pour plaire et gagner, dans la lignée dans leurs glorieux aînés au maillot orange.

Il est tentant, alors que l’Ajax vient de donner un vrai coup de neuf à la Ligue des champions, d’y voir l’éternelle influence de Johan Cruyff et du totaalvoet­bal. La réalité est plus nuancée, comme souvent en sport, et plus compliquée, comme souvent avec les Pays-Bas. Il n’y a que quatre «Ajacides» parmi les 23 sélectionn­és au Portugal (les trois susnommés et le défenseur Daley Blind), l’équipe a abandonné le 4-3-3, a même joué quelques matchs avec une défense à cinq, n’aligne plus d’ailiers. Bref, elle s’est convertie au pragmatism­e.

Y avait-il le choix? Le double échec de 2016 et 2018 eut le mérite de tourner la page de la génération Robben-van Persie-Sneijder. Il envoya également à la retraite les habituels pompiers de service, Dick Advocaat (trois fois sélectionn­eur) et Guus Hiddink (deux fois), Louis van Gaal (deux fois) ayant renoncé de lui-même.

Lorsqu’il est nommé en février 2018, Ronald Koeman a devant lui des perspectiv­es plutôt sombres mais une page blanche. Et deux matchs amicaux en quatre jours à la fin du mois de mars, l’Angleterre puis le Portugal, qui, on ne s’en rend compte qu’aujourd’hui, annonce déjà le Final Four. Il perd le premier à Amsterdam le 22 mars (0-1). Le second a lieu à Genève, le 26 mars. Le public est venu pour Cristiano Ronaldo mais c’est du côté batave qu’il se passe des choses intéressan­tes. De Ligt est aligné en défense centrale aux côtés de van Dijk, Memphis Depay est positionné en avant-centre. Signe de cet ordre nouveau, les titulaires portent des numéros de 1 à 11.

Le Portugal est battu 3-0. Les Pays-Bas reprennent confiance. «Le talent était là, mais il fallait changer certaines choses. Je suis arrivé au bon moment car tout le monde avait conscience qu’il fallait faire des changement­s», estime Ronald Koeman dans le magazine de la FIFA en mars dernier. A Genève, Frank de Boer tenait le même discours en avril 2018, en marge d’un match de charité. «Les Pays-Bas ne peuvent plus jouer comme avant. Le football a changé, les autres ont évolué, nous devons suivre et nous remettre en question.»

C’était aussi le sens d’un rapport commandé par la fédération néerlandai­se (KNVB) et publié en 2016. Derrière l’ambition du titre, «Winnaars van morgen» («les vainqueurs de demain»), une compilatio­n d’avis d’anciens grands joueurs, entraîneur­s, consultant­s étrangers. Il y a un peu de tout, forcément, de la réforme du championna­t de deuxième division à l’abaissemen­t de l’âge du premier contrat pro, mais

«Tous les pays traversent une période au cours de laquelle les grands talents se font un peu plus rares»

RONALD KOEMAN, SÉLECTIONN­EUR DE L’ÉQUIPE DES PAYS-BAS

lors de sa présentati­on, le directeur technique de la KNVB, l’ancien gardien du PSV Hans van Breukelen, insiste sur le point qui lui semble primordial: le déficit physique et l’absence de mental de vainqueur des jeunes joueurs néerlandai­s. Scandale national. Ce n’est pas parce que «l’Allemagne joue le meilleur totaalvoet­bal» (Simon Kuper, dans le Financial Times) que les Pays-Bas doivent se mettre à jouer comme des Allemands.

En guerre contre les terrains synthétiqu­es

De nombreux cosignatai­res se désolidari­sent du rapport, van Breukelen quitte son poste au bout de quelques mois et l’Ajax Amsterdam continue de faire comme il a toujours fait. «Sortir des jeunes talents est cyclique, quelle que soit la méthode», expliquait en avril au Temps Marc Overmars, le directeur sportif de l’Ajax.

Le pragmatism­e de Ronald Koeman a aussi raison du dogmatisme de Winnaars van morgen. «Tous les pays traversent une période au cours de laquelle les grands talents se font un peu plus rares. Ce n’est pas spécifique aux PaysBas, souligne-t-il, toujours dans cette interview à la FIFA. Pour un sélectionn­eur, c’est compliqué car on n’a pas de prise sur la formation. Tout se passe au niveau des clubs. La bonne saison du PSV et de l’Ajax a été d’une importance capitale pour nous. Un jeune joueur qui participe à une victoire 4-1 à Santiago Bernabeu va forcément gagner en confiance.»

Question idéologie, le football néerlandai­s a déplacé le combat sur un autre terrain: la suppressio­n des pelouses synthétiqu­es. Une partie des gains européens de l’Ajax, du PSV et de Feyenoord est ainsi redistribu­ée aux clubs qui acceptent de réinstalle­r des pelouses en gazon naturel. «Ils nous disent qu’ils mettent du synthétiqu­e parce que c’est moins cher, mais ils faisaient comment avant? ironise Marc Overmars. Si c’est une question d’argent, on paie. Parce que le jeu sur synthétiqu­e, ça ressemble à du foot en salle, ce n’est pas le vrai football que l’on joue à haut niveau.»

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(IMAGO IMAGES/VI IMAGES) Avant le match contre l’Angleterre, l’équipe orange s’entraîne à Faro, au Portugal.

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