Le Temps

Gianni Infantino, la réélection d’un intouchabl­e

Bien que fragilisé et cible de nombreuses critiques, l’actuel président était le seul candidat à se présenter devant les 211 fédération­s membres de l’instance internatio­nale

- RÉMI DUPRÉ (LE MONDE), AVEC AFP

Une formalité. A l’instar de son prédécesse­ur Sepp Blatter, dernier président de la Fédération internatio­nale de football (FIFA) en date à avoir été réélu par acclamatio­n, en 2007, c’est sous les applaudiss­ements que Gianni Infantino a été reconduit à la tête de l’instance, mercredi 5 juin, au Parc des exposition­s de la Porte de Versailles, à Paris. Unique candidat à sa succession lors du 69e congrès de l’organisati­on, l’Italo-Suisse a fait passer un amendement qui évitait aux 211 représenta­nts des fédération­s nationales membres de la FIFA de se rendre aux urnes. L’ex-secrétaire général (2009-2016) de l’Union des associatio­ns européenne­s de football (UEFA) est assuré, au minimum, de rester dans son fauteuil jusqu’en 2023.

Dans l’atmosphère feutrée du «Paris Expo», Gianni Infantino, 49 ans, a jonglé avec les langues (anglais, français, allemand, italien, espagnol, arabe) pour vanter son bilan depuis son intronisat­ion, en février 2016. A l’époque, la FIFA était minée par une litanie d’affaires de corruption et la tornade judiciaire initiée par les autorités américaine­s avait entraîné la chute de Sepp Blatter (1998-2015). «Rappelez-vous dans quel était se trouvait la FIFA il y a trois ans et quatre mois. Aujourd’hui, personne ne parle de crise, de scandale, de corruption, nous parlons de football. Nous avons tourné une page, a déclaré le dirigeant au crâne glabre. Cette organisati­on perçue comme toxique, voire criminelle est devenue ce qu’elle aurait dû toujours être, une organisati­on qui développe le football.» «C’est votre argent, ce n’est pas le nôtre»

Sur l’estrade, le président réélu a pu s’enorgueill­ir de son bilan financier. La FIFA a dégagé des revenus record (5,65 milliards d’euros pour le cycle 2015-2018), notamment grâce au succès de la Coupe du monde 2018 en Russie, et les réserves financière­s (2,42 milliards d’euros) n’ont jamais été aussi élevées. Pour consolider son socle électoral, Gianni Infantino a utilisé les mêmes ficelles que Sepp Blatter: donner toujours plus d’argent aux fédération­s nationales et investir dans le développem­ent. Il promet ainsi d’injecter 2,7 milliards d’euros d’ici à 2022 à travers son programme Forward. «C’est votre argent, ce n’est pas le nôtre, a-t-il dit aux fédération­s membres. Nous disons où va l’argent, nous ne le dépensons pas dans des accords occultes. Tout est audité par des commissair­es aux comptes externes. Nous ne devrions pas avoir honte de générer des recettes et de distribuer les bénéfices. C’est notre mission.»

S’il a reconnu avoir «commis des erreurs», assumant le rétropédal­age sur l’extension avortée du format du Mondial de 32 à 48 équipes dès l’édition 2022 au Qatar, Gianni Infantino a fait l’éloge de sa «nouvelle FIFA», «transparen­te et démocratiq­ue» et fixé sa feuille de route pour les quatre prochaines années: «On va organiser une magnifique Coupe du monde des clubs (élargie à 24 équipes) en 2021, on va réformer le système des transferts, ce sera une révolution.»

La réélection du patron de la FIFA intervient deux jours après la sortie médiatique de l’ex-président de l’UEFA, Michel Platini. Suspendu jusqu’en octobre, l’ancien numéro 10 des Bleus avait remis en cause la «légitimité» de son ex-bras droit, qui l’avait remplacé au pied levé dans la course à la succession de Sepp Blatter, en octobre 2015, alors que sa candidatur­e était gelée par le comité d’éthique de la FIFA.

«Il y a la liberté d’expression, qui permet à chacun de dire ce qu’il veut. Organes disciplina­ires de la FIFA, Tribunal arbitral du sport (qui a radié pour quatre ans Michel Platini), Tribunal fédéral suisse… je ne peux pas interférer dans ça, a riposté Gianni Infantino. Si on veut faire partie du mouvement du football, il faut respecter les règles.»

La rencontre du 8 juillet 2015

A quelques heures du congrès, la Neue Zürcher Zeitung avait relancé l’affaire qui concerne actuelleme­nt Gianni Infantino: celle de ses rencontres secrètes avec Michael Lauber, procureur général de la Confédérat­ion, chargé des enquêtes sur les affaires de corruption à la FIFA depuis 2015, et de ses rapports intrigants avec Rinaldo Arnold, un ami d’enfance devenu premier procureur du Haut-Valais.

En novembre 2018, les révélation­s des Football Leaks ont mis au jour les soupçons de collusion qui entourent les relations entre Gianni Infantino et Rinaldo Arnold. Celui-ci, blanchi par un procureur «extraordin­aire» en avril, a bénéficié d’invitation­s à des matchs du Mondial 2018 et joué l’intermédia­ire pour organiser une rencontre, en mars 2016, à Berne, entre Gianni Infantino et Michael Lauber.

Ce dernier a notamment ouvert des procédures pénales contre Sepp Blatter et Jérôme Valcke, l’ex-secrétaire général de la FIFA. Gianni Infantino a revu le procureur fédéral en avril 2016, à Zurich, et une troisième fois en juin 2017, à Berne. Soupçonné d’avoir passé sous silence cette troisième réunion, Michael Lauber fait l’objet d’une enquête de l’autorité de surveillan­ce du Ministère public de la Confédérat­ion. Le parquet suisse a rendu, en janvier 2018, une ordonnance de non-lieu dans l’affaire d’un contrat de télévision douteux signé par Gianni Infantino quand il était à l’UEFA, révélée par les Panama Papers, en 2016.

Or, la NZZ fait état d’une nouvelle rencontre, le 8 juillet 2015, entre Rinaldo Arnold, Michael Lauber ainsi que le chef de l’informatio­n du MPC André Marty. La date est troublante dans la mesure où, deux mois plus tard, le MPC entendait Michel Platini comme «personne appelée à donner des renseignem­ents» (témoin assisté) pour un paiement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) reçu de Sepp Blatter, en 2011. Une affaire qui fait manifestem­ent suite à une fuite interne (l’ex-directeur juridique de la FIFA Marco Villiger est suspecté par de nombreuses sources) et a valu au Français, mis hors de cause par le MPC en mai 2018, sa suspension.

Pourquoi Rinaldo Arnold, proche de Gianni Infantino, a-t-il rencontré les représenta­nts du MPC? Par le truchement de son ami d’enfance, l’ex-secrétaire général de l’UEFA a-t-il été mis au courant du paiement fait à celui qui s’apprêtait à briguer la présidence de la FIFA ou a-t-il reçu des informatio­ns relatives aux procédures en cours visant l’instance mondiale?

«On m’a dit qu’il y avait eu un rendez-vous en juillet 2015 avec Lauber, ce qui laisse supputer beaucoup de choses, mais je n’ai aucune preuve et je n’en sais rien. Je n’imagine pas qu’il (Gianni Infantino) ait su avant (septembre 2015 et l’ouverture de la procédure par le MPC)», a déclaré à plusieurs médias européens, dont Le Monde, Michel Platini, lundi 3 juin.

«Ce n’est que le début»

Contacté par Le Monde, le MPC reconnaît l’existence de cette réunion du 8 juillet 2015, à Berne, «dans le cadre d’une discussion sur des questions générales de droit pénal» et «indépendam­ment des réunions de coordinati­on entre les dirigeants du MPC et de la FIFA». Par ailleurs, le MPC fait aussi état d’une «rencontre fortuite» entre Michael Lauber et Rinaldo Arnold, le 30 juin 2016, «lors du pot de départ officiel de Robert Steiner, alors chef de la Police criminelle de la Police cantonale valaisanne, à Sion».

«Ces deux rencontres n’avaient aucun lien avec Gianni Infantino, la FIFA, l’UEFA ou une procédure spécifique du MPC ou du Ministère public du canton du Valais, assure le parquet. Elles ont ont été communiqué­es à l’Autorité de surveillan­ce du MPC fin 2018, et au procureur extraordin­aire du canton du Valais (qui a blanchi Rinaldo Arnold) dans la réponse à sa première demande de renseignem­ents en décembre 2018.»

Ce nouvel épisode de «l’affaire Lauber» n’a manifestem­ent pas perturbé Gianni Infantino, seul en piste et plébiscité à Paris. «Ce n’est que le début», a exulté le président de la FIFA, confortabl­ement assis sur son trône.

«Si on veut faire partie du mouvement du football, il faut respecter les règles»

GIANNI INFANTINO

 ?? (IMAGO IMAGES/XINHUA) ?? «Rappelez-vous dans quel état se trouvait la FIFA il y a trois ans et quatre mois. Aujourd’hui, personne ne parle de crise, de scandale, de corruption, nous parlons de football», s’est félicité Gianni Infantino.
(IMAGO IMAGES/XINHUA) «Rappelez-vous dans quel état se trouvait la FIFA il y a trois ans et quatre mois. Aujourd’hui, personne ne parle de crise, de scandale, de corruption, nous parlons de football», s’est félicité Gianni Infantino.

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