L’irrésistible ascension de Kamala Harris vers l’investiture démocrate
A la suite d’un échange vigoureux avec l’ancien vice-président Joe Biden, la candidate s’est hissée en deuxième position dans le camp démocrate. Et si cette habituée des premières allait très loin dans la course à la présidence?
Et si c'était elle? L'élection présidentielle américaine n'aura lieu que dans 16 mois, Joe Biden est toujours en tête des sondages malgré son âge, talonné par les deux autres septuagénaires, Elizabeth Warren et Bernie Sanders, mais Kamala Harris a toutes ses chances de devenir l'élue démocrate aux primaires du parti.
Le fait qu'elle pourrait être la première femme noire présidente des Etats-Unis devient son principal argument de marketing. Lors des récents débats télévisés répartis sur deux soirées, où 20 candidats démocrates ont pu se confronter les uns aux autres, elle a en tout cas cartonné. Elle n'a pas hésité à remettre Joe Biden à sa place. Un sondage de CNN publié lundi vient de confirmer qu'elle gagne en popularité. Elle est désormais en deuxième position, avec 17% des intentions de vote, juste derrière Joe Biden (22%), qui, lui, perd des points.
Ses racines en exergue
L'ex-procureure de San Francisco, puis de Californie, est une femme pugnace. Sa bonne prestation de la semaine dernière coïncide également, le contraire aurait été étonnant, avec une pluie de critiques. Kamala Harris, 54 ans, met ses racines en exergue. Et c'est précisément sur ses origines qu'elle est le plus attaquée. Ses détracteurs, parfois proches de l'«alt-right» américaine, lui reprochent de draguer les Afro-Américains et de se considérer comme «Noire», alors que son père, professeur d'économie, est Jamaïcain, et sa mère, une chercheuse spécialiste du cancer du sein, Indienne.
Face à Joe Biden, dans un échange vif lors du deuxième grand débat télévisé, le 27 juin, il a d'ailleurs aussi été question de races. Kamala Harris a souligné que, petite, elle allait à l'école dans des bus emmenant des enfants noirs dans des quartiers blancs après des années de politique ségrégationniste, et a accusé son adversaire d'avoir été contre ce service public de «busing» quand il était jeune sénateur du Delaware. Gêné, Joe Biden a démenti, en se réfugiant derrière la «caution» Barack Obama, dont il a été le vice-président. Dans ses Mémoires publiés en 2007, il qualifie toutefois bien la mesure de «désastre progressiste».
Est-ce que miser sur ses origines, avec le risque de tomber dans une forme de victimisation démagogue, va être un atout dans la course à la Maison-Blanche? Lorsqu'elle a été élue procureure de Californie en 2011, elle est non seulement devenue la première femme à occuper ce poste, mais également la première personne noire à accéder à ce rang. Kamala Harris a l'habitude des premières. Elle compte faire des discriminations raciales un de ses principaux thèmes de campagne. Elle dénonce par exemple le fait que les Afro-Américaines sont encore trois à quatre fois plus nombreuses que les Blanches à mourir en couche ou des suites de complications liées à la grossesse, et s'insurge contre les violences policières qui font encore trop souvent des victimes parmi les Afro-Américains.
Les attaques subies sur les réseaux sociaux ont en tout cas été suffisamment fortes pour que plusieurs candidats démocrates viennent à sa rescousse. «Kamala Harris sous-entend qu'elle est la descendante d'esclaves noirs américains. Elle ne l'est pas. Elle vient d'une famille de propriétaires jamaïcains d'esclaves. C'est très bien. Ce n'est pas une Afro-Américaine. Point final»: le message rédigé par Ali Alexander, un polémiste conservateur noir, a même été retweeté par Donald Trump Jr, avant d'être effacé.
La technique du KO
Joe Biden est monté au front, en esquissant un parallèle avec la polémique complotiste autour du lieu de naissance de Barack Obama. Donald Trump a fait partie des «birthers» qui ont mis en doute le fait qu'il soit né aux EtatsUnis, condition sine qua non pour devenir président.
«C'est écoeurant et nous devons les dénoncer quand nous en sommes témoins. Le racisme n'a pas sa place en Amérique», a tweeté Joe Biden, à propos des attaques contre Kamala Harris. Une manière aussi pour lui de tenter de rassurer l'électorat noir échaudé par sa position ambiguë sur le «busing». Elizabeth Warren a de son côté qualifié ces attaques de «racistes et vilaines».
Plutôt centriste, Kamala Harris est encore un peu difficile à cerner. Ces jours, elle s'est montrée particulièrement chaleureuse, avec une veste arc-en-ciel à paillettes, esquissant des pas de danse sur une scène en pleine gay pride à San Francisco. Un conseil de sa soeur Maya, qui a travaillé en 2016 dans l'équipe de campagne d'Hillary Clinton? Il lui est parfois reproché une certaine froideur et un manque de spontanéité, ce qui n'est pas sans rappeler les traits de caractère de la candidate malheureuse face à Donald Trump il y a trois ans.
Sa pugnacité et sa combativité lors d'auditions au Sénat, où elle siège au sein de l'influente Commission du renseignement, donnent toutefois un avant-goût de la manière dont elle pourrait réagir lors d'un débat face à
«Aucune autre confrontation ne serait aussi fascinante – ou révélatrice – que celle entre Harris et Trump»
face avec Donald Trump. Déterminée, sans se laisser désarçonner par des attaques destinées à l'écraser et en ne lâchant pas le talon d'Achille de son adversaire. Quand la sénatrice démocrate veut obtenir une réponse, elle ne lâche rien. C'est sa technique du KO après avoir bien fatigué sa victime.
Kamala Harris est en pleine éclosion. Mais elle n'a pas encore tout à fait les faveurs de la presse américaine. Le Texan Beto O'Rourke a par exemple eu droit à la couverture de Vanity Fair, photographié par Annie Leibovitz. Et le jeune maire de South Bend (Indiana), Pete Buttigieg, après la cover du New York Magazine, a marqué les esprits en squattant la une du Time, aux côtés de son mari.
Pas de tel traitement de starification encore pour Kamala Harris. Elle apparaît toutefois dans la prochaine édition de Vogue, aux côtés des quatre autre candidates démocrates femmes, sous l'objectif d'Annie Leibovitz. The Atlantic semble avoir fait son choix. «Aucune autre confrontation ne serait aussi fascinante – ou révélatrice – que celle entre Harris et Trump. Mais il faut d'abord qu'elle remporte les primaires», écrit le journal. Et si c'était elle?
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