Le Temps

A Wimbledon, chronique d’une journée helvétique en quatre tableaux

TENNIS Trois Suissesses et Roger Federer étaient engagés mardi à Wimbledon. En fonction de leur statut, ils jouèrent sur quatre courts très distincts, avec pour chacun une ambiance et un public particulie­r

- t LAURENT FAVRE, LONDRES @LaurentFav­re

La Suisse comptait sept représenta­nts qualifiés pour le premier tour des simples dames et messieurs de Wimbledon. Une jolie performanc­e pour un petit pays, même si Roger Federer écrase souvent un peu tous les autres dans les esprits et les palmarès. Lundi, pour l’ouverture du tournoi, Stan Wawrinka et Viktorija Golubic s’étaient qualifiés sans problème pour le deuxième tour, alors que Jill Teichmann subissait une amère désillusio­n en perdant face à la Russe Potapova après avoir mené 6-2, 4-4 et 0-40 sur le service de son adversaire. Une incroyable demi-volée ratée à un mètre du filet (qui lui aurait permis de servir pour le match) signa sa perte.

Mardi, il en restait donc quatre. Par ordre d’apparition: Stefanie Voegele sur le court N°9 face à l’Estonienne Kaia Kanepi, Timea Bacsinszky sur le court N°2 face à l’Américaine Sloane Stephens, Belinda Bencic sur le 18 face à la Russe Anastasia Pavlyuchen­kova et enfin Roger Federer sur le Centre Court face au Sud-Africain Lloyd Harris. Quatre matchs, quatre premiers tours mais quatre ambiances bien différente­s.

Il y a dix-huit terrains de match à Wimbledon, numérotés de 1 à 18, plus le Centre Court, moins le 13 (ici aussi, on se dit qu’un peu de superstiti­on ne peut pas faire de mal). Le N°9 fait partie de ce que l’on appelle les ground courts: des courts sans gradins, et donc au ras du sol. Ils sont disposés par rangées de quatre, une rangée au nord du Centre Court, deux rangées au sud. Ils sont accessible­s à tout le monde, et surtout à ceux qui n’ont pas de billet pour les grands courts. Il n’y a aucun siège attribué, ni même aucun siège; seulement quelques bancs de bois, dont certains sont réservés aux officiels, membres du club, coachs et autres accrédités.

Au N°9, la plus belle vue de Wimbledon

Le public qui regarde VoegeleKan­epi est donc là un peu par hasard, d’abord en quête d’une place, et si possible d’un match intéressan­t. A vrai dire, ils le sont tous ici, tant le point de vue est unique. Les spectateur­s ne sont séparés du court que par une bâche verte d’un mètre de hauteur. S’ils trouvent à s’asseoir, ils sont quasiment aussi bien lotis que les juges de ligne. De tout près, la perfection du gazon émerveille, bien sûr. La pureté du jeu de fond de court de Stefanie Voegele impression­ne aussi, surtout lorsque l’Argovienne frappe à plat. Mais sa fragilité psychologi­que, les regards qu’elle lance à ses proches apparaisse­nt également et expliquent ses résultats inaboutis. «Superstres­s!!!», pianote la mère de la joueuse sur le clavier de son smartphone.

Le court N°9 est entouré du 8, du 5 et du 10. Autant dire que l’on entend tout ce qui se passe à côté: les frappes, les applaudiss­ements, les annonces. Ici, le silence de Wimbledon est un mythe. Cela circule également beaucoup et les deux joueuses doivent faire abstractio­n de ce va-et-vient constant, qui ne s’interrompt pas pendant les points. Elles restent concentrée­s, sans un regard pour ce qui est pourtant la plus belle vue de Wimbledon, avec ce paysage de bocage – prés parfaiteme­nt taillés séparés par des haies humaines – au pied de l’immense façade de briques et de lierre du Centre Court. Stefanie Voegele n’en profite guère: elle s’incline en trois sets (5-7 7-5 6-4). Sur le N°2, c’est mieux ailleurs

Le court N°2 n’est distant du N°9 que d’une dizaine de mètres, et Timea Bascinszky joue donc son match contre Sloane Stephens tout près de sa copine «Steffi». En théorie, car en pratique, le N°2 est un espace à part, clos, aux virages arrondis comme une arena. En bordure de site, à flanc de Church Road (on entend passer les grosses cylindrées des riverains), il semble tourner le dos au reste du site et son «énergie vitale» paraît dirigée vers l’aiguille du clocher de St-Mary, qui domine la colline de Wimbledon Village.

Vous connaissez sans doute le court N°2 comme «le cimetière», cet endroit où George Bastl, notamment, enterra les dernières illusions de Pete Sampras… Ce n’est pas ce 2-là, mais un autre, devenu le N°3. Il est assez peu probable que ce nouveau 2 ait été construit sur les ruines d’un ancien cimetière indien, qu’il soit hanté ou affligé d’une antique malédictio­n. L’ambiance est tranquille. Un peu trop. Le public a un billet, pour la journée et pour ce court uniquement. Il est donc là pour un moment, et vient avec des provisions et de la crème solaire. Les clameurs qui montent du court voisin (le N°12, légèrement plus petit) semblent lui faire regretter que ce ne soit pas plus intéressan­t de son côté. C’était trop facile hier pour Stan Wawrinka, c’est cette fois trop difficile pour Timea Bacsinszky, battue 6-2 6-4. Mais comme sur le N°2 rien ne semble vraiment important, la Vaudoise ne se montrera pas trop déçue de sa défaite, et même plutôt satisfaite de sa prestation. Les deux joueuses s’en vont, le public reste et attend la suite. Le 18, porte-bonheur de Bencic

Situé vers l’autre extrémité du site, le N°18 est le nouveau court mythique de Wimbledon. Une plaque y rappelle qu’ici-même, du 22 au 24 juin 2010, John Isner et Nicolas Mahut ont disputé le plus long match de l’histoire du tennis: onze heures et cinq minutes. «C’est mon cours fétiche! Je n’ai jamais perdu dessus», se réjouissai­t Belinda Bencic. Il fallait bien ce surcroît de confiance pour aborder ce premier tour délicat face à une joueuse, Anastasia Pavlyuchen­kova, habituée à être tête de série.

Etrange court N°18. Dans ce monde de perfection, il semble de briques et de broc, coincé dans le repli d’un bâtiment qui abrite les télévision­s. La climatisat­ion des ordinateur­s fait d’ailleurs un bruit infernal. Il n’y a presque pas de spectateur­s sur les côtés (seulement trois rangées de sièges de part et d’autre), et aucune tribune en fond côté sud. Le public est perché quelques mètres au-dessus des joueuses, dans l’unique tribune côté nord, ainsi que sur le toit du bâtiment des télés. On regarde le match en surplomb, presque d’un balcon. Là non plus, le public n’a pas de billet, et ce Bencic-Pavluychen­kova est sans doute ce qu’il peut espérer de mieux de la journée. La Saint-Galloise, qui trouve le gazon «trop lent cette année, les services sont sans effet», perd son break d’avance dans la deuxième manche mais finit tout de même par conclure en deux sets (6-2 6-3). Federer dans son jardin

Reste Federer. Et le Centre Court. Les deux semblent indissocia­bles. Le Bâlois y détient le record du nombre de matchs joués. Lorsqu’il en fut privé l’an dernier, il tomba face à Kevin Anderson sur le N°1. Il est de retour et lorsqu’on y pénètre dans son sillage, après avoir visité les autres courts de Wimbledon, c’est la compacité et l’harmonie qui frappent d’entrée. C’est bondé, très fermé, obscur sous les combles, mais il règne une grande sensation d’espace et de pureté. Le terrain est immense: 902 m2 engazonnés, pour 195,6 m2 de surface de jeu. Federer est loin, mais cette distance ajoute plus qu’elle ne retire. Elle crée un un respect, une majesté.

Le Sud-Africain Lloyd Harris n’en a cure, et frappe de toutes ses forces. Il chipe un set. C’est un événement, et l’occasion de se rendre compte que le Centre Court est le seul qui prend parti pour un joueur. Peut-être parce que c’est Federer. La légende du tennis se reprend bien vite, retrouve ses jambes et se qualifie sans trop traîner (3-6 6-1 6-2 6-2). Il affrontera jeudi au deuxième tour le Britanniqu­e Jay Clarke, très probableme­nt sur le Centre Court.

On entend tout ce qui se passe à côté: les frappes, les applaudiss­ements, les annonces. Ici, le silence de Wimbledon est un mythe

La pureté du jeu de fond de court de Stefanie Voegele impression­ne. Mais les résultats n’étaient pas au rendez-vous mardi.

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(PETER KLAUNZER/KEYSTONE)

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