Le Temps

Appel à libérer Carola Rackete

- NATHALIE STEIWER, BERLIN

A Strasbourg, lors de la session inaugurale du nouveau Parlement, plusieurs députés européens ont affiché leur soutien à la capitaine du Sea-Watch 3, qui a forcé le blocus italien pour débarquer des migrants. De son côté, l’Allemagne se mobilise pour obtenir sa libération.

Les interventi­ons se sont multipliée­s ces derniers jours en Allemagne pour demander la libération de la capitaine du Sea-Watch 3, arrêtée en Sicile pour avoir forcé le blocus italien anti-migrants

A Cologne, Munich ou Berlin, des centaines d'Allemands manifesten­t devant les consulats italiens pour demander la libération de la capitaine Carola Rackete, arrêtée ce week-end en Italie. Sur le Net, plus de 1 million d'euros ont été récoltés pour payer ses frais de justice: quatre ans après l'ouverture des frontières allemandes aux réfugiés, un nouvel élan de solidarité traverse l'Allemagne. Non sans contradict­ions.

Carola Rackete, capitaine allemande de 31 ans du Sea-Watch 3, a participé à des opérations de sauvetage en Méditerran­ée depuis 2016. Samedi dernier, elle a décidé d'accoster à Lampedusa en Sicile, en dépit de l'interdicti­on des autorités italiennes. Elle errait alors en mer depuis deux semaines, avec à son bord 53 migrants recueillis sur un canot pneumatiqu­e, sans port pour les accueillir.

Elle a été aussitôt mise aux arrêts pour résistance et aide en faveur de l'immigratio­n illégale. Les images de l'arrestatio­n de la belle capitaine aux dreadlocks attachées en lourd chignon ont fait le tour des réseaux sociaux et la une des journaux. «Une vraie Européenne», titre le Frankfurte­r Rundschau, «la discrète rebelle», la surnomme le Spiegel.

Le président allemand monte au créneau

La société civile s'est levée pour demander sa libération. Une cagnotte sur le site Leetchi, lancée par deux animateurs de la télévision allemande, a recueilli en trois jours près de 930000 euros auprès de plus de 33 000 donateurs, Allemands en majorité. Avec un slogan: «Qui sauve des vies ne peut être coupable.» En Italie aussi, une cagnotte a levé des milliers d'euros pour défendre la capitaine et son associatio­n.

Le président allemand, FrankWalte­r Steinmeier, est monté au créneau dimanche en fustigeant la manière dont l'Italie, «membre fondateur de l'Union européenne», a géré la situation. Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, a enchaîné en demandant la libération de Carola Rackete, «au terme d'une procédure fondée sur l'Etat de droit».

Même le monde économique s'est mobilisé pour la capitaine rebelle. Le PDG de Siemens, Joe Kaeser, a ainsi mis dos à dos les «personnes qui sauvent des vies qui ne devraient pas être arrêtées» et ceux qui «encouragen­t la haine et devraient l'être». «Qui sauve des vies ne devrait pas être criminalis­é», a renchéri Frank Bsirske, leader du plus grand syndicat allemand, Verdi.

Côté italien, la réplique a été cinglante. Le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini, membre de la Lega, a invité le président Steinmeier à «s'occuper de ce qui se passe en Allemagne». Le décret interdisan­t l'accès aux ports italiens devrait d'ailleurs être renforcé dans les prochains jours, avec une confiscati­on immédiate des navires qui enfreindro­nt l'interdicti­on d'aider les migrants à entrer en Italie. Côté allemand, c'est l'extrême droite qui est venue au secours de Rome. Il est «scandaleux que le président fédéral critique l'Italie comme si c'était une république bananière», a commenté la vice-présidente du parti d'extrême droite AfD au Bundestag, Alice Weidel.

Pour le porte-parole de SeaWatch, Ruben Neugebauer, le gouverneme­nt allemand est aussi coupable. Les dons ont montré que «nous sommes soutenus par la société civile» et il y a clairement un «changement dans le débat politique». Pour autant, il est «temps de passer des paroles aux actes», a-t-il plaidé lors d'une conférence de presse à Berlin mardi. Les ports italiens sont fermés aux navires privés secourant les migrants depuis plus d'un an. Depuis, «le gouverneme­nt aurait largement eu le temps de trouver une solution», estime-t-il.

Pendant la seule année 2019, 2277 personnes se sont noyées sur la route de l'immigratio­n italienne, rappelle Dominik Bartsch, représenta­nt de l'UNHCR en Allemagne, dans une interview au Rheinische­n Post mardi. Au total, près de 15000 migrants ont trouvé la mort en Méditerran­ée depuis 2015.

La promesse d’une «solution européenne»

Un porte-parole du ministre allemand de l'Intérieur, Horst Seehofer, a promis une prochaine «solution européenne». Les 28 négocient actuelleme­nt un accord sur les régimes temporaire­s de débarqueme­nt des migrants. Les négociatio­ns sur la réforme du droit d'asile et sur des quotas de répartitio­n des réfugiés entre les pays membres patinent pourtant toujours.

En attendant, l'Allemagne a promis d'accueillir un tiers des migrants qui étaient à bord du Sea-Watch 3, soit une douzaine de personnes. La France pourrait en accueillir une dizaine, les autres iraient au Portugal, en Finlande et au Luxembourg. ▅

«Qui sauve des vies ne peut être coupable» SLOGAN D’UNE CAMPAGNE DE COLLECTE DE FONDS EN FAVEUR DE LA CAPITAINE

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(EPA/PATRICK SEEGER)

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