Objectif Lune, le retour
ESPACE Longtemps mise de côté, la Lune suscite à nouveau l’intérêt des grands pays engagés dans la conquête spatiale. Différents projets sont en cours, comme l’a démontré une discussion lors de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques qui se
Le 20 juillet 1969, pour la première fois, un homme a marché sur la Lune. Cinquante ans plus tard, que devient l’exploration lunaire?
Réunis lors de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques à Lausanne, des experts internationaux ont évoqué l’intérêt des missions vers la Lune
L’Agence spatiale européenne envisage une plateforme orbitale lunaire avec un module d’habitation. La Russie travaille à l’élaboration d’une base lunaire robotisée
La Chine, qui a posé un engin sur la face cachée, veut poursuivre sur cette voie. Et la NASA a été sommée par Donald Trump de retourner sur la Lune avant d’aller sur Mars
Cap Canaveral, mercredi 16 juillet 1969. Il est 9h32 tapantes sur la côte est de la Floride. Depuis plusieurs heures déjà, la tension est palpable aux abords du Centre spatial Kennedy, où près d’un million de personnes sont réunies pour assister au lancement de la fusée Saturn V, emportant avec elle la mission Apollo 11. Dans un contexte de pleine guerre froide, qui voit les Etats-Unis et l’Union soviétique s’affronter dans la course à la conquête de l’espace, la NASA – l’agence spatiale américaine –, entend bien être la première à parvenir à poser un équipage sur la surface de la Lune.
Quelques centaines d’heures plus tard, le 20 juillet à 21h56 (heure de Houston), ce sont près de 600 millions de téléspectateurs et d’auditeurs tout autour du globe qui retiennent leur souffle à l’unisson. Dans ce qui restera un événement à jamais inscrit dans la mémoire collective, Neil Armstrong devient – aux côtés de Buzz Aldrin et de Michael Collins, pilote du module de commande et de service resté en orbite – le premier homme à laisser son empreinte sur le sol lunaire.
Musée à explorer
Cinquante ans plus tard, qu’en est-il de l’exploration de la Lune? Quels sont les grands projets des agences spatiales en termes d’expéditions lunaires? Réunis lors de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques qui se tient jusqu’au 5 juillet à Lausanne, cinq experts internationaux ont évoqué les grandes lignes des missions scientifiques concernant notre seul satellite naturel permanent.
Première constatation: même après plusieurs décennies, ce que d’aucuns nomment le huitième continent de la Terre attise toujours la curiosité: «La Lune est en quelque sorte notre musée de la création du système solaire, décrit David Parker, directeur des vols habités à l’Agence spatiale européenne (ESA). On a beaucoup à y apprendre sur la vie passée mais aussi future de l’Univers. Toutefois, jusqu’à présent, nous n’avons fait que visiter la boutique de souvenirs, c’est pourquoi nous devons pouvoir y rester plus longtemps en y créant une base et en y envoyant des robots, afin de pouvoir visiter des zones plus larges et explorer, par exemple, les crevasses glacières qui s’y trouvent.»
Pour le représentant de l’ESA, le prochain grand pas serait de pouvoir à nouveau ramener des échantillons de la surface lunaire: «Notre horizon temporel pour ce faire pourrait tourner autour de 20302040, si tant est que le Conseil des ministres donne son accord lors d’une conférence qui se tiendra à la fin de cette année.» L’Agence spatiale européenne a également pour projet de créer une plateforme orbitale lunaire, qui comprendra notamment un module d’habitation, des télécommunications et un sas pour le déploiement d’instruments scientifiques.
Si elle a commencé à s’intéresser à la Lune tardivement, la Chine est quant à elle bien décidée à rattraper son retard. «Au début, il est vrai que l’on ne voyait pas les bénéfices de telles explorations, concède Wu Ji, ancien directeur du Centre national des sciences spatiales chinois. Ce n’est qu’en 2004 que nous avons établi notre programme lunaire. Depuis dix ans, nous avons toutefois avancé de manière exponentielle en termes d’explorations robotisées.»
Début 2019, et grâce à la mise en orbite 18 mois auparavant d’un satellite relais, la Chine est en effet parvenue à faire alunir, en première mondiale, une sonde – appelée Chang’e-4 – sur la face cachée et toujours inexplorée de la Lune. Déployé depuis plusieurs mois, un petit rover a collecté plusieurs échantillons qui ont déjà permis d’en savoir plus sur la composition du manteau lunaire et devraient nous aider à mieux comprendre la formation et l’évolution de la Lune.
«Nous sommes également en train de créer notre première station spatiale, qui sera achevée en 2022, ajoute Wu Ji. Il n’est pas impossible que nous envisagions d’envoyer un jour des humains sur la Lune, mais il s’agira alors d’une décision politique. Il y a une forte demande du public chinois dans ce sens et il est vrai que ce serait une étape importante dans notre histoire.»
Objectif durabilité
Leader en la matière, la NASA n’a pas dit son dernier mot, elle qui s’est vu ordonner, par le président Trump, de retourner sur la Lune comme première étape avant d’aller sur Mars. L’agence spatiale américaine n’entend toutefois pas agir en solo: «La collaboration internationale est quelque chose d’essentiel, appuie l’Américano-Suisse Thomas Zurbuchen, administrateur associé de la direction de la mission scientifique de la NASA. Nous allons continuer à explorer l’espace ensemble, tout en portant également nos aspirations nationales.» Le vaisseau américain Orion, qui devrait réaliser un vol automatique autour de la Lune en 2020, a ainsi vu son module de service fourni par l’Europe. Par ailleurs, la NASA a également fait appel à différentes entreprises privées afin de lui procurer des modules d’alunissage. «La force du programme Apollo était sa rapidité et son impact, mais sa faiblesse a été son manque de durabilité, analyse Thomas Zurbuchen. Nous ne voulons plus travailler de cette manière.»
«La mission Apollo a coûté 4% du budget total des Etats-Unis, appuie Lori Garver, ancienne administratrice adjointe de la NASA et actuelle directrice générale de Earthrise Alliance, une initiative philanthropique visant à exploiter les données satellitaires pour lutter contre le changement climatique. Aujourd’hui l’objectif de ces missions doit justifier leur coût. La question à se poser est, pourquoi retourner dans l’espace ou sur la Lune? Pour moi, ce type d’observations doit nous permettre de collecter des informations sur notre propre planète et nous ouvrir les yeux quant à sa fragilité.»
Coopération compétitive
Du côté de la Russie, autre acteur important de l’exploration spatiale, on travaille à l’élaboration d’une base lunaire robotisée, dont le début de la construction est annoncé pour 2035.
«L’industrie spatiale est beaucoup trop conservatrice à l’heure actuelle, dénonce Anatoli Petrukovich, directeur de l’Institut de recherche spatiale de l’Académie des sciences de Russie. Il est important de réfléchir sur le long terme et surtout de prendre le bon train. L’objectif principal de la présence humaine dans l’espace est d’atteindre un niveau d’autonomie plus important, grâce à la robotique. Pour cela, nous devons réduire notre aversion au risque et avoir une approche plus audacieuse vis-à-vis des robots, ces derniers doivent pouvoir vivre leur vie de manière indépendante sur la Lune, notamment grâce à l’intelligence artificielle.»
Pour le scientifique, le regain d’intérêt pour la Lune, longtemps délaissée par l’exploration spatiale, s’inscrit dans une coopération non dénuée de compétition: «Nous sommes encore dans une sorte de course, mais dans laquelle chacun aide ses voisins. Dans ce sens, les hommes politiques sont un peu comme des enfants qui voudraient absolument avoir un meilleur jouet que les autres.»
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Si elle a commencé à s’intéresser à la Lune tardivement, la Chine est bien décidée à rattraper son retard