Le Temps

«Quand je dis non, le Seco s’exécute»

Il y a six mois, Guy Parmelin prenait la tête du Départemen­t fédéral de l’économie. Dossier européen, accord de libre-échange avec les Etats-Unis et tensions internes, l’agenda du conseiller fédéral UDC est bien rempli

- PROPOS RECUEILLIS PAR BORIS BUSSLINGER ET RAM ETWAREEA @BorisBussl­inger @rametwaree­a

La libre circulatio­n des personnes est-elle nécessaire à l’économie suisse? Alors que la Commission européenne hausse le ton face à l’immobilism­e du Conseil fédéral, Guy Parmelin a passé une demi-année à la direction du Départemen­t fédéral de l’économie. Rencontré samedi à l’occasion de l’assemblée des délégués de l’UDC à Orbe (VD), il évoque le dossier européen alors que son parti souhaite limiter les interactio­ns avec Bruxelles à leur strict minimum. L’opportunit­é également d’effectuer un premier bilan général, notamment sur ses relations avec le Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco).

Comment s’est déroulée votre entrée en fonction? J’ai découvert un départemen­t beaucoup plus varié que le précédent [Défense, de Protection de la population et Sports, ndlr]. Si je compare avec mes collègues de l’étranger, c’est comme si j’avais cinq à sept ministères. Entre l’économie, l’agricultur­e, les accords internatio­naux, le travail, les relations avec les cantons, la formation, c’est une fine mécanique. Nous sommes aussi davantage en phase avec l’actualité. Il a fallu trouver ses marques en arrivant, mais l’ambiance est bonne et les collaborat­eurs motivés. J’ai voulu une culture de la discussion, je délègue beaucoup, et je veux que lorsqu’on me présente des projets, personne n’hésite à me dire s’il y a des risques. Je ne veux pas des béni-oui-oui. Après, s’il y a plusieurs alternativ­es, c’est moi qui tranche et tout le monde doit suivre.

Comment sont vos rapports avec les partenaire­s sociaux? Ça se passe bien. Mais il est clair qu’en prenant mes nouvelles fonctions, j’ai découvert une situation de rupture de confiance entre les partenaire­s sociaux et le départemen­t. J’essaie de reconstrui­re cette confiance. Pour ce faire, il y a plusieurs nouvelles têtes, comme Pierre-Yves Maillard et moi-même. On se connaît bien lui et moi. On a siégé ensemble au Grand Conseil vaudois, au Conseil national. On se respecte et on peut se dire les choses. Le Seco est également là pour mettre de l’huile dans les rouages.

Parlons du Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco). La presse a relayé des tensions entre vous et le secrétaria­t.

Qu’en est-il? On m’a accusé d’avoir donné des ordres au Seco. Ce n’est pas vrai. Tout d’abord, il y avait une différence entre le Seco et le secrétaria­t général. C’est rare mais cela peut arriver. Son rôle est de trouver des solutions pour que les conditions-cadres permettent à l’économie suisse de se développer, d’attirer des entreprise­s, de créer des postes de travail. Il arrive bien sûr que nous ne soyons pas d’accord. Le Seco est une boîte à idées. Nous discutons et parfois je dis non. Et là, il s’exécute. Mais je ne vais pas interférer dans son travail. Sa directrice Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, que j’estime beaucoup, a par exemple un rôle bien défini dans le cadre des discussion­s sur un accord de libreéchan­ge avec les Etats-Unis. C’est la seule compétente sur le dossier et c’est très bien comme ça.

Avez-vous réorienté la politique économique suisse? J’ai pu entendre dire que le meilleur ministre de l’Economie était celui qui ne faisait rien. Il y a certes des piliers incontourn­ables dans l’économie suisse: un marché du travail souple, une bonne formation à tous les niveaux, le partenaria­t social. Mais sur certains autres points, je peux bien sûr influer. Quand on discute d’un accord de libre-échange (ALE) par exemple, il faut qu’il soit équilibré.

L’agricultur­e vous tient à coeur. Davantage que votre prédécesse­ur Johann Schneider-Ammann? C’est tout de même mon ancienne profession. J’essaie d’impliquer les organisati­ons agricoles dès le début, ce qui a aussi été fait plusieurs fois par mon prédécesse­ur. Je ne peux pas faire la politique agricole voulue par l’Union suisse des paysans, mais je ne cache pas que je vais réorienter quelque peu les choses en la matière. Avant même la politique agricole 22+, nous allons réduire de 20% les contrôles que doivent assumer les agriculteu­rs, qui sont lourds pour les exploitant­s comme pour les cantons. Nous allons aussi essayer de simplifier les choses pour les PME. La bureaucrat­isation va trop loin. Je note toutefois que nous recevons beaucoup de compliment­s sur notre administra­tion lorsque nous nous déplaçons à l’étranger.

Quid des relations avec l’Union européenne (UE). Où en sont les discussion­s relatives à l’accord-cadre? Le Conseil fédéral a pris position le 7 juin. Il y a trois points qui doivent encore être clarifiés. Une fois cela fait, nous irons de l’avant. Mais je constate qu’on est impatient du côté de Bruxelles. Dans le même sillage, le Conseil fédéral déplore la décision de l’UE de retirer l’équivalenc­e boursière à la Suisse alors que nous remplisson­s toutes les conditions. Il a donc mis en oeuvre la mesure visant à protéger la place financière suisse. Il s’agit simplement de défendre nos intérêts.

L’UE veut-elle faire payer quelque chose à la Suisse? L’avenir nous le dira. Nous restons en contact avec nos partenaire­s; nous espérons toujours trouver une solution qui convienne aux deux parties. Que cela plaise ou non à l’UE, le peuple suisse est présent à la table des négociatio­ns. Si l’accord échoue devant le peuple, les dégâts sont bien plus importants. C’est aussi une garantie de stabilité juridique. Bruxelles devrait aussi comprendre cet aspect.

Votre parti veut la fin de la libre circulatio­n des personnes. Comment voyez-vous cet accord évoluer ces prochaines années? Deux échéances nous attendent. Une initiative populaire et la perspectiv­e d’un accord institutio­nnel. Il n’a toutefois jamais été question de rompre tous les accords. Chaque étape est sanctionné­e d’un vote. A la fin, en Suisse, c’est toujours le peuple qui décide.

Mais la libre circulatio­n n’est-elle pas fondamenta­le pour l’économie suisse? Il y a des avantages et des inconvénie­nts. Plusieurs études sont parues sur le sujet. Selon ces dernières, les avantages l’emportent manifestem­ent.

De manière plus générale maintenant, comment se porte l’économie helvétique? Bien. Le chômage est bas. La croissance est plutôt faible, mais nous connaisson­s un léger rebond sur le dernier semestre de l’ordre de +0,6%. La situation internatio­nale est plus inquiétant­e. La guerre commercial­e entre puissances établies et émergentes et la montée des protection­nismes en cours pourraient nous faire vivre un contrecoup dans quelques années. C’est d’ailleurs l’inquiétude de beaucoup de pays semblables à la Suisse comme les Pays-Bas, l’Irlande ou la Suède, qui, comme nous, ont de petites économies dynamiques ouvertes sur l’extérieur. On ne sait pas comment ça va se terminer. Le problème est que, sur le marché du travail, il y a toujours six à huit mois de latence. Nous observons la situation pour être prêt à agir en cas de choc.

La Suisse a un excédent budgétaire depuis des années. Ne pourrait-on pas l’utiliser pour donner un coup de pouce à l’économie? C’est mieux d’avoir des excédents que des déficits. Sans argent, il n’y a pas de marge de manoeuvre. Mais cela ne passerait pas forcément bien que l’Etat intervienn­e dans l’économie. Nous nous concentron­s sur l’investisse­ment dans la formation et les nouvelles technologi­es. Je rappelle qu’il y a également un mécanisme de frein à l’endettemen­t qui a été adopté par 85% des votants. Je ne pense pas qu’il existe de majorité pour l’assouplir à l’heure actuelle.

Johann Schneider-Ammann était très engagé pour conclure des accords de libre-échange. Quelle est votre politique? La situation sur le plan internatio­nal est telle que même si je ne voulais pas en conclure, nous sommes condamnés à le faire. La Suisse fait par ailleurs partie d’un groupe de 13 pays qui essaie de débloquer l’Organisati­on mondiale du commerce, qui est complèteme­nt paralysée par les guerres économique­s internatio­nales. Nous explorons toutes les possibilit­és pour améliorer l’espace dans lequel nos entreprise­s peuvent se développer et faire du commerce.

Qu’en est-il du dossier américain? J’ai eu l’opportunit­é de rencontrer Robert Lighthizer [le délégué au Commerce américain] à Washington. Nous avons eu un très bon contact et il est convenu que nous allons poursuivre les négociatio­ns exploratoi­res afin d’identifier les problèmes restants. Il a dit au Congrès qu’il ne signait des accords de libre-échange que si chaque citoyen américain y trouvait son compte. L’équation est posée. Ce n’est pas simple mais nous continuons de travailler vers une solution qui soit dans l’intérêt des deux parties.

Et la Chine? Nous sommes le seul pays européen à disposer d’un accord de libre-échange avec Pékin. Certains se demandent où réside l’intérêt de la Chine, mais si nous avons signé cet accord, c’est bien qu’il s’agit d’un win-win [gagnant-gagnant] entre nos deux pays. Dans le domaine des investisse­ments, il est clair que nous aimerions obtenir davantage de réciprocit­é. Cet aspect pourrait toutefois prochainem­ent se débloquer du côté chinois. Nous sommes en discussion constante avec tout le monde. Pour finir, revenons en Suisse. Poussez-vous un peu le canton de Vaud dans vos nouvelles fonctions? Chaque fois qu’il y a une nomination et que c’est un Vaudois, on dit que je place mes gens. Ce n’est pas vrai. Mais si quelque chose à l’EPFL m’apparaît important, oui, on va le soutenir. Pareil à l’EPFZ. Je crois d’ailleurs que la guéguerre est terminée entre les deux écoles polytechni­ques. L’attitude est désormais bien plus constructi­ve.

Le pôle économique valdo-genevois commence-t-il à se faire remarquer au niveau national? Il commence à être apprécié, et même craint. Son dynamisme ne passe pas inaperçu. Si Genève participe à la péréquatio­n financière, c’est bien parce que sa capacité contributi­ve est très élevée. Je pense d’ailleurs que Vaud pourrait lui aussi devenir contribute­ur ces prochaines années. Attention toutefois à savoir saisir les opportunit­és. J’étais à Soleure la semaine dernière, où la multinatio­nale américaine Biogen va investir 1,5 milliard de francs. Toutes les autorisati­ons ont été débloquées en quelques mois. Combien de projets de cette envergure la Suisse romande a-t-elle attirés ces dernières années? S’il faut deux ans pour produire la première molécule, les entreprise­s partent ailleurs. Il faut parfois savoir quitter le micromanag­ement local pour saisir de grandes opportunit­és. ▅

«Je ne peux pas faire la politique agricole voulue par l’Union suisse des paysans, mais je ne cache pas que je vais réorienter quelque peu les choses en la matière»

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