«Quand je dis non, le Seco s’exécute»
Il y a six mois, Guy Parmelin prenait la tête du Département fédéral de l’économie. Dossier européen, accord de libre-échange avec les Etats-Unis et tensions internes, l’agenda du conseiller fédéral UDC est bien rempli
La libre circulation des personnes est-elle nécessaire à l’économie suisse? Alors que la Commission européenne hausse le ton face à l’immobilisme du Conseil fédéral, Guy Parmelin a passé une demi-année à la direction du Département fédéral de l’économie. Rencontré samedi à l’occasion de l’assemblée des délégués de l’UDC à Orbe (VD), il évoque le dossier européen alors que son parti souhaite limiter les interactions avec Bruxelles à leur strict minimum. L’opportunité également d’effectuer un premier bilan général, notamment sur ses relations avec le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco).
Comment s’est déroulée votre entrée en fonction? J’ai découvert un département beaucoup plus varié que le précédent [Défense, de Protection de la population et Sports, ndlr]. Si je compare avec mes collègues de l’étranger, c’est comme si j’avais cinq à sept ministères. Entre l’économie, l’agriculture, les accords internationaux, le travail, les relations avec les cantons, la formation, c’est une fine mécanique. Nous sommes aussi davantage en phase avec l’actualité. Il a fallu trouver ses marques en arrivant, mais l’ambiance est bonne et les collaborateurs motivés. J’ai voulu une culture de la discussion, je délègue beaucoup, et je veux que lorsqu’on me présente des projets, personne n’hésite à me dire s’il y a des risques. Je ne veux pas des béni-oui-oui. Après, s’il y a plusieurs alternatives, c’est moi qui tranche et tout le monde doit suivre.
Comment sont vos rapports avec les partenaires sociaux? Ça se passe bien. Mais il est clair qu’en prenant mes nouvelles fonctions, j’ai découvert une situation de rupture de confiance entre les partenaires sociaux et le département. J’essaie de reconstruire cette confiance. Pour ce faire, il y a plusieurs nouvelles têtes, comme Pierre-Yves Maillard et moi-même. On se connaît bien lui et moi. On a siégé ensemble au Grand Conseil vaudois, au Conseil national. On se respecte et on peut se dire les choses. Le Seco est également là pour mettre de l’huile dans les rouages.
Parlons du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). La presse a relayé des tensions entre vous et le secrétariat.
Qu’en est-il? On m’a accusé d’avoir donné des ordres au Seco. Ce n’est pas vrai. Tout d’abord, il y avait une différence entre le Seco et le secrétariat général. C’est rare mais cela peut arriver. Son rôle est de trouver des solutions pour que les conditions-cadres permettent à l’économie suisse de se développer, d’attirer des entreprises, de créer des postes de travail. Il arrive bien sûr que nous ne soyons pas d’accord. Le Seco est une boîte à idées. Nous discutons et parfois je dis non. Et là, il s’exécute. Mais je ne vais pas interférer dans son travail. Sa directrice Marie-Gabrielle Ineichen-Fleisch, que j’estime beaucoup, a par exemple un rôle bien défini dans le cadre des discussions sur un accord de libreéchange avec les Etats-Unis. C’est la seule compétente sur le dossier et c’est très bien comme ça.
Avez-vous réorienté la politique économique suisse? J’ai pu entendre dire que le meilleur ministre de l’Economie était celui qui ne faisait rien. Il y a certes des piliers incontournables dans l’économie suisse: un marché du travail souple, une bonne formation à tous les niveaux, le partenariat social. Mais sur certains autres points, je peux bien sûr influer. Quand on discute d’un accord de libre-échange (ALE) par exemple, il faut qu’il soit équilibré.
L’agriculture vous tient à coeur. Davantage que votre prédécesseur Johann Schneider-Ammann? C’est tout de même mon ancienne profession. J’essaie d’impliquer les organisations agricoles dès le début, ce qui a aussi été fait plusieurs fois par mon prédécesseur. Je ne peux pas faire la politique agricole voulue par l’Union suisse des paysans, mais je ne cache pas que je vais réorienter quelque peu les choses en la matière. Avant même la politique agricole 22+, nous allons réduire de 20% les contrôles que doivent assumer les agriculteurs, qui sont lourds pour les exploitants comme pour les cantons. Nous allons aussi essayer de simplifier les choses pour les PME. La bureaucratisation va trop loin. Je note toutefois que nous recevons beaucoup de compliments sur notre administration lorsque nous nous déplaçons à l’étranger.
Quid des relations avec l’Union européenne (UE). Où en sont les discussions relatives à l’accord-cadre? Le Conseil fédéral a pris position le 7 juin. Il y a trois points qui doivent encore être clarifiés. Une fois cela fait, nous irons de l’avant. Mais je constate qu’on est impatient du côté de Bruxelles. Dans le même sillage, le Conseil fédéral déplore la décision de l’UE de retirer l’équivalence boursière à la Suisse alors que nous remplissons toutes les conditions. Il a donc mis en oeuvre la mesure visant à protéger la place financière suisse. Il s’agit simplement de défendre nos intérêts.
L’UE veut-elle faire payer quelque chose à la Suisse? L’avenir nous le dira. Nous restons en contact avec nos partenaires; nous espérons toujours trouver une solution qui convienne aux deux parties. Que cela plaise ou non à l’UE, le peuple suisse est présent à la table des négociations. Si l’accord échoue devant le peuple, les dégâts sont bien plus importants. C’est aussi une garantie de stabilité juridique. Bruxelles devrait aussi comprendre cet aspect.
Votre parti veut la fin de la libre circulation des personnes. Comment voyez-vous cet accord évoluer ces prochaines années? Deux échéances nous attendent. Une initiative populaire et la perspective d’un accord institutionnel. Il n’a toutefois jamais été question de rompre tous les accords. Chaque étape est sanctionnée d’un vote. A la fin, en Suisse, c’est toujours le peuple qui décide.
Mais la libre circulation n’est-elle pas fondamentale pour l’économie suisse? Il y a des avantages et des inconvénients. Plusieurs études sont parues sur le sujet. Selon ces dernières, les avantages l’emportent manifestement.
De manière plus générale maintenant, comment se porte l’économie helvétique? Bien. Le chômage est bas. La croissance est plutôt faible, mais nous connaissons un léger rebond sur le dernier semestre de l’ordre de +0,6%. La situation internationale est plus inquiétante. La guerre commerciale entre puissances établies et émergentes et la montée des protectionnismes en cours pourraient nous faire vivre un contrecoup dans quelques années. C’est d’ailleurs l’inquiétude de beaucoup de pays semblables à la Suisse comme les Pays-Bas, l’Irlande ou la Suède, qui, comme nous, ont de petites économies dynamiques ouvertes sur l’extérieur. On ne sait pas comment ça va se terminer. Le problème est que, sur le marché du travail, il y a toujours six à huit mois de latence. Nous observons la situation pour être prêt à agir en cas de choc.
La Suisse a un excédent budgétaire depuis des années. Ne pourrait-on pas l’utiliser pour donner un coup de pouce à l’économie? C’est mieux d’avoir des excédents que des déficits. Sans argent, il n’y a pas de marge de manoeuvre. Mais cela ne passerait pas forcément bien que l’Etat intervienne dans l’économie. Nous nous concentrons sur l’investissement dans la formation et les nouvelles technologies. Je rappelle qu’il y a également un mécanisme de frein à l’endettement qui a été adopté par 85% des votants. Je ne pense pas qu’il existe de majorité pour l’assouplir à l’heure actuelle.
Johann Schneider-Ammann était très engagé pour conclure des accords de libre-échange. Quelle est votre politique? La situation sur le plan international est telle que même si je ne voulais pas en conclure, nous sommes condamnés à le faire. La Suisse fait par ailleurs partie d’un groupe de 13 pays qui essaie de débloquer l’Organisation mondiale du commerce, qui est complètement paralysée par les guerres économiques internationales. Nous explorons toutes les possibilités pour améliorer l’espace dans lequel nos entreprises peuvent se développer et faire du commerce.
Qu’en est-il du dossier américain? J’ai eu l’opportunité de rencontrer Robert Lighthizer [le délégué au Commerce américain] à Washington. Nous avons eu un très bon contact et il est convenu que nous allons poursuivre les négociations exploratoires afin d’identifier les problèmes restants. Il a dit au Congrès qu’il ne signait des accords de libre-échange que si chaque citoyen américain y trouvait son compte. L’équation est posée. Ce n’est pas simple mais nous continuons de travailler vers une solution qui soit dans l’intérêt des deux parties.
Et la Chine? Nous sommes le seul pays européen à disposer d’un accord de libre-échange avec Pékin. Certains se demandent où réside l’intérêt de la Chine, mais si nous avons signé cet accord, c’est bien qu’il s’agit d’un win-win [gagnant-gagnant] entre nos deux pays. Dans le domaine des investissements, il est clair que nous aimerions obtenir davantage de réciprocité. Cet aspect pourrait toutefois prochainement se débloquer du côté chinois. Nous sommes en discussion constante avec tout le monde. Pour finir, revenons en Suisse. Poussez-vous un peu le canton de Vaud dans vos nouvelles fonctions? Chaque fois qu’il y a une nomination et que c’est un Vaudois, on dit que je place mes gens. Ce n’est pas vrai. Mais si quelque chose à l’EPFL m’apparaît important, oui, on va le soutenir. Pareil à l’EPFZ. Je crois d’ailleurs que la guéguerre est terminée entre les deux écoles polytechniques. L’attitude est désormais bien plus constructive.
Le pôle économique valdo-genevois commence-t-il à se faire remarquer au niveau national? Il commence à être apprécié, et même craint. Son dynamisme ne passe pas inaperçu. Si Genève participe à la péréquation financière, c’est bien parce que sa capacité contributive est très élevée. Je pense d’ailleurs que Vaud pourrait lui aussi devenir contributeur ces prochaines années. Attention toutefois à savoir saisir les opportunités. J’étais à Soleure la semaine dernière, où la multinationale américaine Biogen va investir 1,5 milliard de francs. Toutes les autorisations ont été débloquées en quelques mois. Combien de projets de cette envergure la Suisse romande a-t-elle attirés ces dernières années? S’il faut deux ans pour produire la première molécule, les entreprises partent ailleurs. Il faut parfois savoir quitter le micromanagement local pour saisir de grandes opportunités. ▅
«Je ne peux pas faire la politique agricole voulue par l’Union suisse des paysans, mais je ne cache pas que je vais réorienter quelque peu les choses en la matière»