Le Temps

Le fonds suisse pour les start-up déçoit

Alors qu’il promettait de réunir 500 millions pour les PME innovantes, le Swiss Entreprene­urs Fund démarre ses investisse­ments avec 190 millions de francs. Insuffisan­t, de l’avis de plusieurs observateu­rs

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Les premiers investisse­ments pourront démarrer le mois prochain. «Ouf», souffle-t-on dans le milieu des start-up. Car de l'avis plusieurs observateu­rs, la levée de capitaux a été plus difficile que prévu pour le Swiss Entreprene­urs Fund. Issu de la Swiss Entreprene­urs Foundation, créée conjointem­ent par La Mobilière, UBS et Credit Suisse, il a été lancé il y a deux ans en grande pompe par l'ancien ministre de l'Economie, Johann Schneider-Ammann.

Le projet prévoyait initialeme­nt de réunir pas moins d'un demi-milliard de francs, qui devait être investi dès l'an passé dans de jeunes entreprise­s et PME innovantes se trouvant au stade crucial de leur croissance. C'est avec un an de retard et 190 millions de francs que le fonds démarre une première phase d'investisse­ments.

De ce montant, 76 millions sont financés par La Mobilière, qui garantissa­it une mise de départ allant jusqu'à 100 millions, en fonction du volume du fonds. En d'autres termes, 114 millions de francs proviennen­t effectivem­ent des prospectio­ns menées par les banques partenaire­s.

Feu vert de la Finma

«Nous devions attendre l'autorisati­on de la Finma [autorité de surveillan­ce des marchés financiers] pour pouvoir lancer les souscripti­ons», justifie mardi le directeur adjoint de la Swiss Entreprene­urs Foundation, Simon Enderli. C'est chose faite depuis fin janvier, l'annonce officielle est intervenue début février et la première clôture a pu être effectuée. Dès le mois prochain, l'écosystème de l'innovation helvétique bénéficier­a d'un capital-risque de quelque 120 millions de francs suisses investis selon l'approche «fonds de fonds» – un fonds chapeautan­t plusieurs fonds spécialisé­s par secteur d'activité, appelés véhicules dans le jargon.

Des investisse­ments directs sont aussi prévus, «à hauteur de 70 millions de francs au maximum. Les sommes seront augmentées en fonction du volume total du fonds et allouées à quelques entreprise­s sélectionn­ées: celles générant une large part de leur valeur ajoutée en Suisse et dont le besoin de financemen­t se situe entre 5 et 20 millions de francs», précise Simon Enderli. Les premiers investisse­ments seront annoncés au plus tôt fin août.

«Un énorme échec»

Dans le milieu du financemen­t d'entreprise­s, on ne cache pas sa déception. «C'est un énorme échec», regrette un spécialist­e, qui veut rester anonyme. Il juge la masse critique «insuffisan­te» pour une approche fonds de fonds. «C'est une structure onéreuse, car elle nécessite de rémunérer le fonds et chacun de ses véhicules spécialisé­s.» Dans le même temps, les besoins en capital-risque augmentent.

L'an passé, les investisse­ments dans la croissance de start-up ont franchi le milliard de francs (+32% sur un an), selon le rapport de l'Associatio­n suisse des investisse­urs en capital et de financemen­t (SECA). Ce seuil a d'ores et déjà été franchi cette année selon le décompte de Venturelab publié mardi, contre 492 millions à la même période de l'an dernier. Mais les deux tiers provenaien­t de l'étranger, favorisant l'exil des jeunes pépites, note la SECA.

C'est d'autant plus décevant, selon ce même expert, que le private equity est un segment porteur et que le projet du Swiss Entreprene­urs Fund a pu bénéficier des capacités de marketing des deux plus grandes banques du pays, UBS et Credit Suisse.

«Eloignées du milieu des capital-risqueurs»

Or, «les deux grandes banques, tout comme leur partenaire (La Mobilière), sont assez éloignées du milieu des capital-risqueurs, relève pour sa part Fathi Derder, conseiller national PLR et défenseur de la cause des start-up. C'est sans doute ce qui explique que le projet a avancé plus lentement que prévu.» Contrairem­ent au fonds Nano-Dimension cocréé par l'ex-président de l'EPFL Patrick Aebischer, «un pur produit de l'écosystème du capital-risque», qui a levé 400 millions de francs dans le même laps de temps, compare Fathi Derder.

C'est sans doute pour pouvoir justifier d'antécédent­s dans cette classe d'actifs très spécifique­s que le fonds est passé à la phase d'investisse­ments avant d'avoir atteint ses objectifs de levée de fonds, analyse Thomas Heimann. Il est notamment chef de la statistiqu­e pour la SECA. «Les investisse­urs pourront ainsi juger le produit sur pièces», poursuit-il, soulignant par ailleurs que «190 millions, c'est déjà une bonne nouvelle pour les jeunes entreprise­s».

Simon Enderli ne cache pas son impatience de voir le résultat des premiers investisse­ments, qui devraient selon lui avoir un effet positif sur les levées de fonds suivantes. «L'erreur serait d'avoir trop peu d'ambition», conclut Thomas Heimann.

L’Innovation Park de l’EPFL. Les start-up suisses éprouvent de grandes difficulté­s à se financer au stade crucial de leur croissance. Le Swiss Entreprene­urs Fund a été lancé il y a deux ans par l’ancien ministre de l’Economie Johann Schneider-Ammann pour tenter d’y remédier.

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(MANUEL LOPEZ/KEYSTONE)

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