Bataille autour des scellés dans l’affaire Bouvier-Rybolovlev
Le Tribunal pénal fédéral devra de nouveau dire si des documents saisis chez le marchand d’art genevois doivent être accessibles au fisc fédéral
Nouveau soubresaut dans le dossier Bouvier-Rybolovlev. Le Tribunal pénal fédéral devra de nouveau dire si l'Administration fiscale fédérale (AFC) peut avoir accès à des documents saisis en 2017 chez Yves Bouvier et au sein de plusieurs de ses entreprises genevoises. Ces documents avaient été placés sous scellés car ils contiendraient des «secrets confiés à des avocats». Une levée des scellés constituerait «une violation du secret professionnel de l'avocat», selon le défenseur du marchand d'art genevois. Pour les avocats du milliardaire russe, elle permettrait au contraire de relancer le volet fiscal de cette affaire.
Depuis 2015, le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev et le marchand d'art genevois Yves Bouvier se livrent une véritable guerre de tranchées. Le premier soupçonne le second de lui avoir surfacturé 38 oeuvres d'art, empochant au passage des centaines de millions. Mais c'est au volet fiscal, en Suisse, de ce dossier que le Tribunal fédéral s'est indirectement intéressé, récemment.
Yves Bouvier est suspecté par l'Administration fiscale fédérale de ne pas avoir déclaré des revenus entre 2005 et 2015, évitant ainsi de payer 81 millions de francs d'impôts, au minimum. Des documents saisis par l'AFC au domicile et dans des entreprises genevoises du marchand d'art en avril 2017 avaient été mis sous scellés, au motif qu'ils contiendraient «des secrets confiés à des avocats».
Afin d'accéder à ces documents, l'AFC a saisi le Tribunal pénal fédéral en 2018, lançant une demande visant Yves Bouvier. Or, la majeure partie des documents en question ayant été saisis au sein de ses entreprises genevoises, ces dernières auraient aussi dû être visées par le recours de l'AFC. Recours que le Tribunal pénal fédéral a donc jugé irrecevable. Dans un arrêt daté du 11 juin 2019 et révélé par le site Gotham City, le Tribunal fédéral a décidé de renvoyer le dossier au Tribunal pénal fédéral.
«Le Tribunal fédéral s'est prononcé seulement sur une question préalable de procédure, et non sur la question de fond de savoir si les scellés devaient être levés, relève Pierre-Alain Guillaume, l'avocat d'Yves Bouvier. Le tribunal a confirmé que notre client a qualité de partie à cette procédure, comme nous le défendions. Nous soutenons en outre que les sociétés étrangères d'Yves Bouvier, basées à Hongkong et aux îles Vierges britanniques, devraient elles aussi être parties à la procédure. Ce point devra être examiné par le Tribunal pénal fédéral.» Et si ce dernier décide de lever les scellés? «Cela constituerait une violation crasse du secret professionnel de l'avocat, qui finirait tôt ou tard devant la Cour européenne des droits de l'homme. Notre client a confiance en l'indépendance et l'impartialité des cours fiscales suisses.» «Puzzle recomposé petit à petit»
«Si le Tribunal pénal fédéral lève les scellés, l'Administration fiscale fédérale pourra utiliser à son profit ces éléments du dossier pénal qu'Yves Bouvier a cherché à cacher. De même, le procureur chargé de cette affaire, Yves Berthossa, pourrait aussi être intéressé à consulter le dossier fiscal. Au-delà des déclarations d'Yves Bouvier, le puzzle se recompose petit à petit, cela a pris du temps», déclare Marc Henzelin, qui défend, avec Sandrine Giroud, Dmitri Rybolovlev, et qui n'est pas partie dans le dossier tranché par la Cour suprême.
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«[Une levée des scellés] constituerait une violation crasse du secret professionnel de l’avocat»
PIERRE-ALAIN GUILLAUME,
AVOCAT D’YVES BOUVIER