Le Temps

Des bourgeois tout petits

DRAME «Rojo» rappelle que la veulerie de la classe moyenne a fait le lit de la dictature en Argentine

- A. DN VV Rojo, de Benjamin Naishtat (Argentine, Brésil, France, Pays-Bas, Allemagne, Belgique, Suisse, 2018) avec Dario Grandinett­i, Andrea Frigerio, Alfredo Castro, 1h49.

Dans un restaurant, Claudio (Dario Grandinett­i), un notable de province, se fait insulter par un inconnu, au prétexte qu’il occupe une table sans consommer. Il cède sa place mais, histoire de ne pas perdre la face, sermonne l’olibrius, l’écrase de son mépris de classe. Après avoir dîné avec Susana (Andrea Frigerio), son épouse en retard, l’avocat retrouve l’excité dehors. Les choses s’enveniment. Elles se terminent dans le désert, où les corps sont abandonnés aux intempérie­s et aux charognard­s.

Pépère, Claudio reprend sa vie familiale, thé et gâteaux, et profession­nelle, petites magouilles routinière­s. L’escarmouch­e du restaurant lui revient par la bande quand un détective chilien vient fureter dans ses affaires.

Ventre mou

Pour Rojo, son troisième film, le réalisateu­r Benjamin Naishtat ausculte le ventre mou de la petite bourgeoisi­e argentine, quelques mois avant le coup d’Etat de mars 1976. La veulerie, l’hypocrisie et la cupidité font le lit du fascisme. Le pillage préliminai­re d’une villa abandonnée, l’absence de sens moral, les agissement­s brutaux de quelques blousons dorés, la dominante brunâtre des images, puis l’éclipse solaire sur la plage annoncent les années sombres. Et Claudio de dissimuler désormais sa calvitie sous une perruque…

Réflexion sinistre sur la nature humaine

Le cinéma argentin excelle à montrer la pourriture sur laquelle la dictature croît – l’exemple le plus sidérant reste Dans ses yeux de Juan José Campanella. Sans atteindre à ces hauteurs, desservie par un montage et un rythme parfois déroutants, cette réflexion sinistre sur la nature humaine n’en témoigne pas moins d’une belle intelligen­ce.

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