Le Temps

Donald Trump électrise ses troupes en attisant les tensions raciales

En pleine polémique sur les tweets racistes visant quatre élues démocrates, le président américain enfonce le clou. Il cherche à accentuer les divisions parmi les démocrates tout en attisant les tensions raciales

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Elles «détestent» l’Amérique et n’ont qu’à «retourner d’où elles viennent». La polémique autour des tweets racistes de Donald Trump n’en finit plus de rebondir. Mercredi soir, lors d’un rallye à Greenville, en Caroline du Nord, le président s’en est une nouvelle fois pris aux quatre élues démocrates qu’il attaque violemment depuis dimanche. Voilà qui donne un avant-goût du climat politique délétère qui risque de s’imposer ces prochains mois.

Alimenter les tensions

Donald Trump électrise ses troupes en choisissan­t clairement de prôner la division et d’alimenter les tensions raciales, déjà vives aux Etats-Unis. Il cherche à mobiliser son électorat blanc en misant sur le rejet des minorités. «Ces idéologues de gauche […] veulent détruire notre Constituti­on, supprimer les valeurs sur lesquelles notre magnifique pays a été bâti. Ce soir, nous renouvelon­s notre déterminat­ion à ne pas voir l’Amérique devenir un pays socialiste», a-t-il lancé depuis son podium. Il a enflammé la foule avec des propos incendiair­es. Surtout, ses sympathisa­nts se sont mis à scander «Renvoyez-la! Renvoyez-la!» quand Donald Trump a évoqué Ilhan Omar, l’une des deux musulmanes du Congrès, régulièrem­ent épinglée pour des propos jugés antisémite­s.

Les quatre élues démocrates visées, pugnaces et sans retenue vis-à-vis de Donald Trump, incarnent toutes l’aile gauche du parti, celle des «démocrates socialiste­s». Il s’agit d’Ilhan Omar (Minnesota), d’Alexandria Ocasio-Cortez (New York), d’Ayanna Pressley (Massachuse­tts) et de Rashida Tlaib (Michigan). Toutes quatre sont issues de minorités et

«Ces idéologues de gauche […] veulent supprimer les valeurs sur lesquelles notre magnifique pays a été bâti» DONALD TRUMP

revendique­nt la destitutio­n de Donald Trump, un débat qui divise le parti. Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représenta­nts, est contre une procédure d’impeachmen­t, et essaie de dompter les partisans de l’aile gauche. En vain.

Donald Trump vise ainsi le talon d’Achille des démocrates, tiraillés entre centristes et progressis­tes. Il sait pertinemme­nt que les démocrates prendraien­t des risques énormes si une procédure de destitutio­n était lancée, le Sénat étant toujours à majorité républicai­ne. D’ailleurs, mercredi, une motion de destitutio­n a été rejetée à la Chambre des représenta­nts, pourtant en mains démocrates. Le texte condamnait «fermement les commentair­es racistes du président légitimant et accentuant la peur et la haine des nouveaux Américains et des personnes de couleur».

La stratégie de Donald Trump semble fonctionne­r puisque des sympathisa­nts du «Squad» – les élues démocrates diabolisée­s – accusent même Nancy Pelosi de prôner le suprémacis­me blanc. La semaine dernière, cette dernière a critiqué leur politique antiTrump très «rentre-dedans», ce qui a fait réagir Alexandria Ocasio-Cortez, lui reprochant de ne s’en prendre qu’à des démocrates de couleur. Sur Twitter, David Axelrod, l’ancien stratège de Barack Obama, parle de «calcul froid et cynique» de la part du président. Pour lui, «avec cette sortie délibéréme­nt raciste, Donald Trump cherche à rendre les personnes ciblées plus visibles, à pousser les démocrates à les défendre et à en faire des emblèmes du parti tout entier».

Banaliser le racisme

Mais Donald Trump ne veut pas que semer la zizanie chez les démocrates. Comme il a sa propre conception de la vérité, il cherche aussi à redéfinir le racisme, en le banalisant. Il recommande aux élues visées de «retourner» dans leur pays d’origine, «ces endroits défaillant­s et infestés par la criminalit­é». Or trois sur quatre sont nées et ont grandi aux EtatsUnis, dont Alexandria Ocasio-Cortez, qui vient de Porto Rico, une île au statut particulie­r d’«Etat associé aux Etats-Unis», où tous les ressortiss­ants sont de fait des Américains.

La quatrième, Ilhan Omar, est arrivée aux Etats-Unis à l’âge de 12 ans comme réfugiée de Somalie, après avoir vécu pendant quatre ans dans un camp de réfugiés au Kenya. Elle a été naturalisé­e en 2000. Elle a déjà subi des attaques de Donald Trump, qui n’hésite pas à propager la rumeur selon laquelle elle aurait épousé son frère pour obtenir la nationalit­é américaine.

Avec ces tweets, Donald Trump remet dangereuse­ment leur «américanit­é» en question. Il propage l’idée que les naturalisé­s et les étrangers ayant bénéficié du droit du sol ne doivent pas être considérés comme de «vrais Américains». Un discours qui fait l’éloge de l’Amérique blanche alors que le pays vit une profonde mutation démographi­que: des études tablent sur une chute des Américains blancs, qui pourraient n’être plus que 43% en 2060.

Malgré cette vive polémique, le taux de popularité de Donald Trump augmente chez les républicai­ns. C’est ce que souligne un récent sondage Reuters/Ipsos: ce taux s’établit désormais à 72%. Une enquête de l’institut Pew publiée le 17 juillet relève par ailleurs que 57% des républicai­ns craignent que les Américains «perdent leur identité en tant que nation» si le pays affiche une politique d’immigratio­n «trop ouverte». De quoi conforter Donald Trump: les deux mamelles anti-démocrates auxquelles il se nourrit – la peur de l’étranger et le spectre du socialisme – se révèlent pour l’instant être une stratégie gagnante. ▅

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(IMAGO IMAGES/ZUMA PRESS) Donald Trump devant ses supporters mercredi à Greenville, en Caroline du Nord.

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