Le Temps

Le détroit d’Ormuz, cette poudrière qui pourrait faire flamber le brut

Le brut et les produits pétroliers raffinés transitant par le détroit d’Ormuz voyagent principale­ment vers l’Oriensurto­ut vers la Chine. Mais les Etats-Unis y gardent la place centrale

- LUIS LEMA t @luislema

Les incidents ne se comptent plus. Jeudi, les Gardiens de la révolution iraniens ont confirmé qu’ils avaient saisi un pétrolier étranger, au motif qu’il se serait adonné à la contreband­e et qu’il tentait de faire passer en fraude «un million de litres de pétrole». On reste sans nouvelles d’un autre tanker», provenant des Emirats arabes unis, qui a disparu samedi. Les Etats-Unis, de leur côté, s’apprêtent à envoyer quelques centaines d’hommes en renfort dans la région.

Et, dans le même temps, le président Donald Trump, au nom de «l’urgence de la menace iranienne», entend passer outre un veto des parlementa­ires américains et inonder l’Arabie saoudite d’armes hyper-sophistiqu­ées (valeur du contrat: 8,1 milliards de dollars). Le golfe Persique est redevenu, décidément, la zone de tous les dangers. Et le détroit d’Ormuz, cet improbable cordon ombilical qui alimente en hydrocarbu­res une bonne partie de la planète semble, une fois de plus, au bord de la rupture.

On se souvient de lui par intermitte­nce. Mais comme celui d’un volcan, son nom n’augure rien de bon lorsque l’éruption semble s’approcher. Ainsi au cours des années 1980, lorsque le conflit Iran-Irak donna lieu ici à «la guerre des tankers», durant laquelle au moins 600 navires qui transitaie­nt par le détroit furent touchés, et qui s’achèvera même par la destructio­n d’un avion de ligne iranien, abattu par l’armée américaine (290 civils tués). Autre guerre, autres tensions: en 1991, c’est l’invasion du Koweït par un Saddam Hussein qui, craignant une attaque par mer de la coalition qui s’était formée contre lui, avait fait truffer le détroit d’un bon millier de mines. Sans parler ensuite du déversemen­t, directemen­t dans la mer, de millions de barils de brut.

Vives tensions

Même si elles prenaient un tour mois spectacula­ire, les tensions ne se sont en fait jamais apaisées autour de ce cap qui sépare le golfe Persique et la mer d’Oman. Pas loin, au Bahreïn voisin, les

Si le détroit venait à être bloqué, cela aurait tout de même une forte incidence sur le cours du pétrole» JEAN-MARC RICKLI, DIRECTEUR DES RISQUES GLOBAUX

AU CENTRE DE POLITIQUE DE SÉCURITÉ DE GENÈVE

Américains y tiennent stationnée leur 5e flotte, tandis que le Qatar abrite la plus grande base aérienne américaine de la région. Ici, entre deux géants chargés de pétrole ou de gaz liquéfié qui attendent leur tour, gardés par l’armada la plus puissante du monde, se font face la rive arabe et l’Iran, devenus ennemis jurés, tandis que se faufilent trafiquant­s de marchandis­es, d’armes et de drogue, ainsi que, à l’occasion, terroriste­s et pirates.

Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis sont encore à la manoeuvre. Sous leur impulsion sont créées trois forces militaires maritimes internatio­nales, les CTF (pour Combined Task Force) 150, 151 et 152. En tout, plus d’une trentaine d’Etats (y compris bon nombre d’européens), chargés d’assurer la sécurité du transport contre les actes de piratage, de terrorisme ou de toute autre force hostile. De quoi faire de ce détroit l’une des régions les plus surveillée­s de la planète.

La preuve d’un éternel recommence­ment? Depuis quelques semaines, les Etats-Unis de Donald Trump planchent sur le projet de bâtir une nouvelle coalition internatio­nale afin, ici encore, de garantir la sécurité de la navigation. Il s’agirait pour chaque pays d’envoyer des forces militaires pour escorter les bâtiments battant leur pavillon, disait récemment le général Joseph Dunford, le chef d’état-major interarmes américain. Plusieurs Etats, à l’instar par exemple des Pays-Bas, ont déjà reçu une demande officielle américaine en ce sens. Et le petit royaume de Bahreïn vient d’annoncer qu’il organisera à la fin de l’été un «sommet maritime» consacré notamment à cette question, auquel 65 pays devraient être invités.

Leadership américain

Alors que les tensions actuelles tirent leur origine de la décision américaine de jeter aux oubliettes l’accord sur le nucléaire iranien et de rétablir des sanctions contre Téhéran, la création de cette coalition reviendrai­t de fait pour Washington à consolider un front contre l’Iran, malgré des réticences aujourd’hui générales. Les Etats-Unis «fourniront la connais

sance et la surveillan­ce du domaine maritime» à leurs alliés, soulignait ainsi le général Dunford, sans laisser le moindre doute sur la volonté américaine d’assurer le «leadership» de l’ensemble.

Cette prédominan­ce américaine est en réalité assurée depuis des décennies, et plus précisémen­t depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Rentrant de la conférence de Yalta, en 1945, le président américain Roosevelt invite sur son croiseur, l’USS Quincy, le roi saoudien Ibn Saoud. S’ensuivra le pacte dit du Quincy, dont les termes principaux sont très simples: une protection américaine militaire et politique illimitée en échange d’un accès aux gisements pétroliers pour les Etats-Unis. La réalité de ce pacte a été remise en question par certains historiens. Mais peu importe: son esprit s’est maintenu vivant tout ce temps, au-dessus du détroit d’Ormuz.

Les Etats-Unis planchent sur le projet d’une nouvelle coalition internatio­nale afin de garantir la sécurité de la navigation

Pourtant, comme le note Jean-Marc Rickli, directeur des risques globaux au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), les choses sont passableme­nt différente­s aujourd’hui. «Grâce au pétrole et au gaz de schiste, les Etats-Unis sont devenus beaucoup moins dépendants de cette région tandis que, de leur côté, les besoins de la Chine en hydrocarbu­res ont beaucoup augmenté.» A ses yeux, ce ne sont donc plus guère des questions d’accès aux ressources qui sont en jeu.

Et la Chine?

Quelles sont les raisons qui expliquent malgré tout le maintien d’une présence américaine si forte? «Si le détroit venait à être bloqué, cela aurait tout de même une forte incidence sur le cours du pétrole, dont pâtiraient aussi les consommate­urs américains, y compris les électeurs de Donald Trump.» Mais le spécialist­e voit une seconde raison, car même si le président américain semble fonctionne­r selon une logique isolationn­iste, il adopte également une «approche transactio­nnelle» dans les questions internatio­nales, c’est-à-dire que toute négociatio­n doit bénéficier aux Etats-Unis. «Au-delà de la stature des Etats-Unis comme puissance globale, une forte présence américaine dans le Golfe amène aussi une série de contrats très intéressan­ts, notamment en matière de défense, et donc profite également à l’industrie d’armement américaine», note-t-il.

En toute logique, ce serait bien désormais à la Chine d’assurer l’essentiel de la sécurité du détroit. Ce que d’ailleurs n’ont pas manqué de souligner les responsabl­es de l’administra­tion américaine, y compris le président Trump lui-même. «La Chine n’a pas les moyens d’envoyer l’équivalent de la 5e flotte américaine dans la région, poursuit pourtant Jean-Marc Rickli. Les autorités chinoises sont très réalistes et pragmatiqu­es. Elles ne vont pas s’opposer ici frontaleme­nt à la puissance américaine. D’autant qu’elles savent aussi qu’elles pourront sans doute, à terme, profiter des pots cassés par ce face-àface entre les Etats-Unis et l’Iran.»

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(HAMAD I MOHAMMED/REUTERS) Un pétrolier dans le détroit d’Ormuz.
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