Kevin Zoller écope de 20 ans de prison
La justice marocaine a rendu son verdict jeudi dans l’affaire de l’assassinat de deux Scandinaves près de Marrakech. L’accusé suisse, qui a toujours clamé son innocence, est lourdement condamné
Pour Kevin Zoller, c’est un coup de massue: le Suisse est condamné à 20 ans de prison dans l’affaire du double meurtre d’Imlil, au Maroc. Les 24 accusés sont tous reconnus coupables à des titres divers d’avoir participé directement ou indirectement au meurtre de Louisa Vesterager Jespersen, une étudiante danoise de 24 ans, et de son amie Maren Ueland, une Norvégienne de 28 ans, le 17 décembre dernier dans la région de Marrakech au Maroc. Les trois principaux accusés, Abdessamad El Joud, Younes Ouzyad et Rachid Afati, qui ont reconnu les faits, écopent de la peine capitale, même si cette dernière ne sera probablement pas appliquée en raison d’un moratoire. Les autres prennent de 5 ans, pour celui qui a seulement présenté une personne à une autre sans savoir de quoi il retournait, à la prison à vie.
Tous les prévenus se sont une dernière fois exprimés, hier jeudi, lors de l’ultime audience de cette affaire au Tribunal de première instance de Salé, près de la cour d’appel de Rabat, la capitale marocaine. Ils n’ont prononcé que quelques mots, pour jurer qu’ils étaient innocents ou pour demander pardon. Seul Kevin, un Suisse de 25 ans, a parlé plus longuement: «Je suis un jeune qui a eu la malchance de croiser des personnes mauvaises. La justice est symbolisée par une balance. Dans mon cas, il y a d’un côté les allégations de l’accusation, de l’autre les preuves matérielles, que j’ai apportées, de mon innocence. Soyez juste. Il faut me relâcher.» Il a conclu en expliquant combien il était dégoûté par l’acte de barbarie commis contre les deux Scandinaves.
Engrenage judiciaire
Comme l’explique Fatima, son épouse marocaine, «Kevin pensait vraiment sortir libre du tribunal. Il voulait manger des lasagnes le soir même, il se réjouissait. Moi, je me doutais bien qu’il devrait passer quelques années en prison; mais 20 ans pour un innocent, c’est illogique!»
Extrême naïveté de la part de Kevin ou preuve de son innocence? Les deux probablement: pris dans un engrenage judiciaire qui le dépassait, Kevin a pensé qu’en collaborant au mieux, en disant ce qu’il savait, il démontrerait sa sincérité autant qu’il se disculperait. Avec candeur, il pensait que la justice marocaine fonctionnait comme celle de son pays, la Suisse. Il a très vite déchanté, car à chaque étape de la procédure, Kevin s’est senti bafoué dans ses droits élémentaires: lors des interrogatoires de police, il n’a pas eu accès à un traducteur, on lui a fait signer des papiers qu’il ne comprenait pas. Au moment du procès, la traduction a été défaillante, il ne pouvait pas s’exprimer sans être coupé et, surtout, on lui a refusé le droit d’appeler un témoin à décharge. Et même son avocat marocain semblait ne pas attacher beaucoup d’importance à la défense de son client: il a eu trois heures de retard lors de l’avant-dernière audition et ne s’est pas déplacé pour le verdict, se contentant de faire lire une lettre de la mère de Kevin par l’un de ses assistants.
En janvier dernier, alors que tous les suspects sont derrière les barreaux, le Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ) mène les interrogatoires. Très vite, un exposé des faits incluant la part de responsabilité de chacun des suspects voit le jour et fuite dans la presse. Dans la foulée, Abdelhak Khiame, le chef du BCIJ, lors d’interviews à la presse, donne un récit cohérent du rôle joué par Kevin Zoller dans l’entraînement des criminels et cette version des faits a prévalu jusqu’à la fin, sans que soit pris en compte le procès luimême et malgré toutes les preuves apportées pour contredire l’accusation, malgré aussi le fait que certains des accusés se soient récusés quant au rôle de Kevin dans un hypothétique entraînement.
Pour Me Saskia Ditisheim, tout cela justifie largement une procédure en appel: «Nous allons faire appel et nous battre pour que justice soit faite. Mais, seuls, nous n’y parviendrons pas. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) doit à présent assumer son rôle et assurer à Kevin un procès équitable.»
▅
«Kevin pensait vraiment sortir libre du tribunal. Il voulait manger des lasagnes le soir même, il se réjouissait. Moi, je me doutais bien qu’il devrait passer quelques années en prison» FATIMA, SON ÉPOUSE MAROCAINE