Un cinéphile en fauteuil roulant débouté à Strasbourg
La Cour européenne des droits de l’homme déclare irrecevable le recours d’un Genevois qui s’était vu refuser l’accès à une salle de cinéma inadaptée aux personnes handicapées
Marc Glaisen, un Genevois en fauteuil roulant qui s'était vu refuser l'accès à une salle de cinéma, espérait une décision historique de la Cour européenne des droits de l'homme reconnaissant une discrimination en lien avec son droit au développement personnel et à l'information. Dans un arrêt publié ce jour, Strasbourg juge sa plainte irrecevable, car l'impossibilité de se rendre dans cette salle en particulier pour y voir un film spécifique n'empêchait pas cette personne handicapée de mener une vie sociale ou de profiter de l'offre culturelle. Pour son avocat, Me Cyril Mizrahi, «c'est un revers, mais le combat continue avec d'autres outils».
Le requérant, psychologue de formation, est paraplégique depuis 1987. En 2008, soit à l'âge de 40 ans, il s'est rendu seul à l'ancien cinéma Rialto pour assister à la projection du film Vinyan, qui ne figurait à l'affiche d'aucune autre salle genevoise. Le bâtiment, construit avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur l'élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand), n'était pas adapté. Sans l'aide de tiers pour franchir les escaliers, une personne en fauteuil roulant ne pouvait ni accéder aux salles, ni en sortir.
Gravité relativisée
Le cinéphile s'est fait refuser l'accès pour des motifs liés à la sécurité avant même de pouvoir demander l'aide éventuelle de spectateurs ou d'acheter un billet. Il a attaqué la société exploitante pour discrimination. Lors de l'instruction, il a démontré que deux personnes pouvaient l'aider à se déplacer sur ces marches avec son fauteuil. Une manoeuvre qualifiée de peu aisée, le poids total étant d'environ 100 kilos.
Débouté par les instances cantonales, Marc Glaisen, soutenu par Inclusion Handicap, a également essuyé un échec, en 2012, devant le Tribunal fédéral. A cette occasion, Mon-Repos a souligné que les craintes de l'exploitant face à la difficulté d'une évacuation d'urgence étaient compréhensibles tout en relevant que la LHand, notamment sa disposition contre la discrimination, appliquée aux particuliers qui fournissent des prestations, avait pour but de «prévenir des comportements ségrégationnistes graves qui tendent à exclure les personnes handicapées de certaines activités de peur que leur seule présence ne trouble la quiétude ou les habitudes de la clientèle habituelle».
«Si on veut invoquer à chaque fois des motifs de sécurité, les personnes handicapées ne pourront plus accéder à grand-chose»
ME CYRIL MIZRAHI, AVOCAT DU PLAIGNANT
En substance, le TF n'a rien vu de particulièrement choquant dans cette affaire et n'a pas estimé non plus que la loi suisse devait encore élargir sa conception de la discrimination. Là résidait l'enjeu principal du recours à la Cour européenne des droits de l'homme. Mais pour amener Strasbourg à conclure à l'existence d'une discrimination, encore fallait-il démontrer que ce refus du cinéma avait porté atteinte à d'autres droits fondamentaux de Marc Glaisen. La cour rappelle ainsi que la protection de la discrimination n'a pas d'existence indépendante et vaut uniquement «pour la jouissance des droits et libertés» qu'elle garantit.
En l'espèce, le requérant invoquait des restrictions susceptibles de limiter ses contacts sociaux ainsi qu'un accès inégal à l'information. Si la cour n'exclut pas que, pour un paraplégique, l'importance de se rendre au cinéma ne se réduise pas à la consommation d'un film mais implique également des échanges avec autrui, elle estime qu'il n'existe pas un droit d'avoir accès à une salle ou à une projection spécifique «aussi longtemps qu'est assuré un accès général aux cinémas se trouvant dans les environs proches». Ce qui était le cas.
Dans ce contexte, le refus n'a pas empêché Marc Glaisen «de mener sa vie de façon telle que le droit à son développement personnel et son droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres êtres humains et le monde extérieur soient mis en cause». L'arrêt, décidé à une majorité, écarte aussi la violation du droit de recevoir de l'information, «qui ne va pas jusqu'à permettre au requérant l'accès au cinéma où est projeté un film qu'il souhaite regarder».
«Conception dépassée»
Inclusion Handicap ne cache pas sa déception et regrette l'issue du recours. Pour Me Mizrahi, «cette interprétation trop prudente, qui rejoint celle du Tribunal fédéral, vide de sa substance l'interdiction de la discrimination et n'est pas adaptée aux conceptions actuelles». L'avocat, rappelant notamment le récent refus de laisser des personnes en fauteuil roulant entrer et se mêler aux autres spectateurs du festival de musique à Sion, craint l'ouverture d'une boîte de Pandore: «Si on veut invoquer à chaque fois des motifs de sécurité, les personnes handicapées ne pourront plus accéder à grand-chose.»
L'avocat place désormais ses espoirs dans la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées. La Suisse, qui a ratifié ce texte, sera prochainement soumise à l'examen périodique du comité qui formulera des recommandations. «Je suis confiant que cet examen sera passablement critique sur cette question de l'accès aux prestations d'entreprises privées», conclut Me Mizrahi. ▅
Décision 40477/13 du 18 juillet 2019