Le Temps

Le retour en grâce du football romand

Le championna­t de Super League reprend ce vendredi avec, pour la première fois depuis 2011, trois équipes représenta­nt la Suisse francophon­e. Ce n’est pas le seul signe d’une belle accalmie après de sacrées tempêtes

- LIONEL PITTET @lionel_pittet

Le 2 juin dernier, Neuchâtel Xamax sauvait sa place dans l’élite du football suisse lors d’un barrage façon montagnes russes contre le FC Aarau, qui n’aura fléchi qu’au bout d’une séance de tirs au but. Il s’en est fallu d’un rien, mais avec ce maintien de dernière minute, la promotion du Servette FC et la présence du FC Sion, la Super League comptera cette saison trois formations romandes. Il s’agit d’une première depuis l’exercice 20112012.

Cette année-là, elles étaient même quatre, avec le Lausanne-Sport en plus. Mais la tempête s’annonçait. Neuchâtel Xamax fait faillite en 2012 à la suite de la gestion calamiteus­e du président Bulat Chagaev. Servette est relégué la saison suivante, Lausanne celle d’après. Le club genevois est encore rétrogradé administra­tivement en 2015. Et pendant des années, le football suisse ne parle français au plus haut niveau qu’avec l’accent valaisan.

Aujourd’hui, l’orage s’est dissipé. Chacun avec ses forces et ses limites, Xamax, Servette et Sion s’appuient sur des projets ancrés localement et pensés sur le long terme. Avec des ambitions certes variables: à Neuchâtel, les moyens actuelleme­nt à dispositio­n ne permettent pas de se projeter hors de la bagarre en zone à risques. Mais aucun de ces clubs n’est exposé à une nouvelle banquerout­e. Pour le football romand, c’est déjà un retour en grâce.

Pas de folie des grandeurs

La tendance ne se limite pas à ces trois représenta­nts dans l’élite. Dopé par l’envergure financière du groupe Ineos, son nouveau propriétai­re depuis 2017, et la perspectiv­e de l’inaugurati­on d’un nouveau stade dans une année, le Lausanne-Sport sera l’un des candidats au titre en Challenge League, tandis que c’est une autre équipe de la capitale olympique – Stade Lausanne Ouchy – qui est parvenue à s’extraire par le haut de la très compétitiv­e Promotion League.

Dans cette troisième division qui fait le trait d’union entre football profession­nel, jeunes talents et monde amateur, Yverdon Sport, le Stade Nyonnais et Etoile Carouge – néo-promu à ce niveau – seront en embuscade cette saison. Il n’y a pour l’heure que vingt places entre la Challenge League et la Super League, et toutes les formations romandes citées ne sauraient y figurer en même temps. Mais il est frappant de constater qu’elles nourrissen­t des ambitions.

Les entraîneur­s «welsches» ont aussi la cote: Stéphane Henchoz (Sion), Joël Magnin (Xamax), Alain Geiger (Servette), Fabio Celestini (Lugano) et Ludovic Magnin (Zurich) occupent cinq des dix bancs de Super League. Le coach de Young Boys, double champion en titre, n’est lui pas Romand (le Lucernois Gerardo Seoane), mais c’est par contre le cas de son chef du recrutemen­t, Stéphane Chapuisat, et de son responsabl­e de la formation, Gérard Castella. Avant d’être transféré à Xamax, Joël Magnin dirigeait par ailleurs les espoirs bernois en 1re Ligue (quatrième division). Le club de la capitale baigne dans une culture très métissée. «Dans le vestiaire, il y a beaucoup de francophon­es, et la langue numéro un est le français», témoignait récemment le défenseur vaudois Jordan Lotomba dans La Région.

Equilibre fragile

En coulisses, Dominique Blanc est devenu président de l’Associatio­n suisse de football le 1er juillet. Il a été préféré à un autre Romand (Jean-François Collet) et à un Alémanique (Kurt Zuppiger) que le comité de la 1re Ligue avait présenté plutôt que Philippe Hertig pour que l’élection ne soit pas un match entre Vaudois. «Pour ce qui est de cette élection, je crois que c’était le fruit du hasard, glisse «Jeff» Collet, vice-président de la Swiss Football League. Mais pour le reste, oui, c’est vrai, le football romand va mieux qu’il y a quelques années. Attention tout de même: les progrès réalisés restent fragiles, avec beaucoup d’inconnues. En Super League, il y aura bien trois équipes cette saison, mais combien d’entre elles seront impliquées dans la lutte contre la relégation?»

Depuis quelques années, la zone rouge concerne de fait les deux tiers des dix équipes de première division. Et c’est un problème, souligne l’ancien directeur de la Swiss Football League Edmond Isoz. «Autant de clubs sous pression, ce n’est plus possible, d’autant que ceux qui ont les coûts d’un nouveau stade à assumer se retrouvera­ient au bord de la faillite s’ils étaient relégués. C’est le cas de Thoune, Saint-Gall, Lucerne… Lorsque nous avons réduit le nombre d’équipes de l’élite en 2003, il y avait un contexte particulie­r, qui a changé aujourd’hui. Il faut revenir à une Super League plus élargie pour permettre à ces clubs de ne pas être constammen­t menacés.»

Pour lui, le retour au premier plan de Xamax est «le résultat d’un bon travail», ceux de Servette et Lausanne (en cours) marquent «un retour à la normale». «Entre 1933 et 2018, 85% des 85 titres de champion de Suisse ont été remportés par des clubs issus des cinq plus grandes agglomérat­ions du pays, dont les deux de l’Arc lémanique. Leur place historique est en première division. Et s’ils y sont tous les deux, à un bon niveau, cela peut recréer une émulation, de l’intérêt du public et des sponsors.» Edmond Isoz en est convaincu: il existe un intérêt commun au football romand.

Il est par contre moins optimiste quant à la perspectiv­e de voir un de ses représenta­nts lutter pour le titre dans un avenir proche, «hors scénario à la Leicester City» (inattendu champion d’Angleterre en 2016). «Les écarts de budget sont trop importants. Bâle et Young Boys sont tout simplement dans un autre monde.» Pour le retour du football romand au sommet, il faudra encore patienter.

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) Il y aura encore des derbys Sion-Xamax cette année. Et d’autres avec Servette…

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